Riz doré : L’OGM qui veut faire de l’humanitaire.
Régulièrement sur Internet, l’actualité met en lumière des initiatives dont l’objectif premier est strictement humanitaire, comme cela a été le cas avec la paille LifeStraw, ou le mouvement de la #LoveArmy. Dernièrement, c’est le cas du riz doré qui est revenu sur le devant de la scène, notamment suite à la publication d’un article de The Guardian intitulé « Block on GM rice “has cost millions of lives and led to children blindness” » (Traduction : Le blocage à l’encontre du riz OGM a provoqué des millions de morts et contribué à la cécité d’enfants).
En résumé, l’article revient rapidement sur la genèse de ce projet aux motivations humanitaires avant de s’étendre plus longuement sur la franche opposition de certaines organisations écologistes et les réticences qui demeurent dans de nombreux États à l’encontre de ce riz génétiquement modifié. Enfin et surtout, l’article du Guardian se fait l’écho des déceptions et de l’exaspération des tenants du projet, selon qui l’interdiction de culture et de consommation aurait supposément empêché de sauver la vie de millions de personnes touchées par la malnutrition.
Ce qu’il faut aussi savoir:
La notion de malnutrition est à distinguer de celle de sous-alimentation. La malnutrition est en effet caractérisée par un déséquilibre nutritionnel – une déficience ou un excès – lié à une faible diversité alimentaire. Autrement dit, une personne peut très bien manger à sa faim mais être malnutrie faute d’aliments suffisamment riches en nutriments variés. La malnutrition n’est d’ailleurs pas nécessairement visible physiquement.
La sous-alimentation trouve quant à elle son origine dans le manque d’apports suffisants en calories, c’est-à-dire lorsque les personnes ne mangent pas en quantité suffisante. Un régime faible en calories l’est nécessairement en nutriments, c’est pourquoi une personne qui ne mange pas assez est à la fois sous-alimentée et inévitablement malnutrie. Les signes d’une sous-alimentation peuvent notamment être reconnus physiquement (amaigrissement, faible rapport poids/taille).
Au-delà du virulent débat idéologique pro-OGM versus anti-OGM que soulève cette initiative – et qu’il n’est pas question de commenter ici – il est frappant de remarquer qu’en aucun cas les organisations et les travailleurs humanitaires ont été invités à partager leur opinion sur la question du riz doré, quand bien même ceux-ci se trouvent en première ligne sur le front de la lutte contre la malnutrition. C’est pourquoi Carnet de Bord – HUMANITAIRE a décidé de se retrousser les manches pour répondre à cette question essentielle : Le riz doré est-il aussi humanitaire qu’il prétend l’être ?
IL ÉTAIT UNE FOIS UN RIZ QUI VOULAIT SAUVER DES VIES.
Le riz doré est né d’une constatation dramatique. Dans plusieurs pays sous-développés, des millions de personnes sont affectées par de graves carences nutritionnelles qui tout à la fois affectent leur développement physique et cognitif, augmente leur exposition aux maladies et réduit leur espérance de vie.
Parmi ces carences, la déficience en vitamine A est l’une des plus répandues puisqu’elle touche plusieurs dizaines de millions de personnes, principalement des enfants. Les carences en vitamine A sont particulièrement inquiétantes puisqu’elles peuvent mener à la cécité et fragilisent les défenses immunitaires, augmentant consécutivement les risques de mort à la suite de diarrhées, d’une rougeole ou de paludisme.
Plusieurs pays sont concernés par le problème de la déficience en vitamine A (on compte notamment les Philippines, le Bangladesh, l’Indonésie…) et la plupart partagent une autre caractéristique commune : le régime alimentaire de base est majoritairement constitué de riz. Il n’en fallait pas plus pour que deux scientifiques allemands, Ingo Potrykus et Peter Beyer, se lancent dans l’élaboration d’un riz génétiquement modifié enrichi en bêta-carotène – à partir de quoi la vitamine A est constituée – qui permettrait aux populations malnutries de réduire leur exposition aux conséquences des carences en vitamine A.
En 2000, après huit années de recherches et de développement, Potrykus et Beyer annoncent avoir créé une nouvelle variété de riz qu’ils présentent comme une solution susceptible de sauver la vie et la vue de millions de personnes. Ils le baptisent « riz doré » – sa teneur en bêta-carotène lui donne une couleur orangée – et ajoutent également que pour des motifs strictement humanitaires, les droits d’usage sont totalement libres, afin que ce riz puisse bénéficier au plus grand nombre de personnes. Malgré ces arguments altruistes qui auraient dû suffire à convaincre tout le monde, le riz doré fait toujours face à de farouches oppositions et n’a donc toujours pas eu l’occasion de prouver ses supposés mérites. Tandis que les uns s’insurgent qu’un OGM puisse prétendre au rang de solution à la malnutrition et érigent le principe de précaution comme rempart ultime, les autres dénoncent cette opposition dogmatique en allant même jusqu’à la catégoriser de probable « crime contre l’humanité ». Et au milieu de ces joutes verbales stériles, les considérations véritablement d’ordre humanitaire restent en suspens.
LA MALNUTRITION ET LES CARENCES EN VITAMINE A NE SE RÉSUMENT PAS À UNE QUESTION DE DISPONIBILITÉ ALIMENTAIRE.
En vue de résoudre le problème qu’elle représente, il convient en premier lieu de s’interroger sur les causes de la malnutrition qui touchent des États comme l’Inde, le Bangladesh ou les Philippines. En l’espèce, les carences en vitamines A telles que constatées dans ces pays sont le résultat d’une faible diversité dans les modes de consommation alimentaire des populations concernées. Cette faible diversité en aliments peut quant à elle résulter d’une disponibilité alimentaire réduite (les produits n’existent pas ou en petite quantité uniquement) ou d’un accès économique restreint (c’est-à-dire que les personnes n’ont pas de moyens économiques suffisants pour se procurer des denrées alimentaires autres que le riz).
Ce qu’il faut aussi savoir:
Bien que nous soyons tenté de croire que l’insécurité alimentaire et les famines sont principalement dues à l’absence de denrées alimentaires suffisantes pour nourrir la planète (1), la première cause d’insécurité alimentaire dans le monde n’est autre que la pauvreté. Effectivement, l’insécurité alimentaire est essentiellement caractérisée au travers de la question de l’accessibilité, plus spécifiquement celle de l’accessibilité économique. L’économiste et prix Nobel Amartya Sen explique dans ses travaux qu’il « n’est pas rare que des individus soient réduits à l’état de famine alors que les ressources abondent autour d’eux, tout simplement parce qu’ils ne peuvent plus les acheter, suite à une perte de revenus (2) ».
Or, les aliments riches en vitamine A tels que les carottes, les tomates ou encore la patate douce (cette dernière étant largement consommée en Inde et aux Philippines) sont d’ores et déjà cultivés et disponibles sur les marchés des pays susnommés. Pourtant, l’idée selon laquelle il conviendrait de mettre à disposition une nouvelle denrée alimentaire tel que le riz doré sous-entend que le problème de malnutrition est circonscrit à un problème de disponibilité. Autrement dit, la création du riz doré s’appuie sur le postulat qu’il n’existerait pas d’autres sources alimentaires riches en vitamine A dans ces pays.
En revanche, on observe que les niveaux de pauvreté et leurs conséquences visibles sur les populations concernées sont quant à eux bien réels. À titre d’exemple, près d’un quart de la population de l’Inde vit sous le seuil de pauvreté – c’est-à-dire avec moins de 1,9 dollars US par jour, tel que défini par la Banque Mondiale –, 15% des indiens sont sous-alimentés et près de 40% des enfants de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance alors que ce même pays est le deuxième producteur mondial de blé, riz, fruits et légumes.
Pour résoudre efficacement le problème de la malnutrition, il demeure également important de prendre en compte l’influence de l’environnement dans lequel vivent les individus touchés par la malnutrition. En effet, des conditions d’hygiène déplorables, un accès restreint à l’eau potable et des structures d’assainissement limitées sont autant de facteurs qui peuvent affecter la situation nutritionnelle des personnes. En d’autres termes, les personnes qui sont trop pauvres pour améliorer leurs conditions de vie sont également exposées à des maladies hydriques, principalement la diarrhée et autres infections intestinales.
Hélas, une personne régulièrement affectée par une maladie hydrique se retrouve irrémédiablement exposée au danger de la malnutrition, puisque la diarrhée réduit la capacité de l’organisme à absorber les nutriments des aliments consommés. Inversement, les individus atteints de malnutrition présentent également davantage de risque de contracter la diarrhée, puisque leur système immunitaire est affaibli, créant inévitablement un cercle vicieux entre malnutrition et maladies hydriques. Ainsi, quand bien même ces personnes auraient accès au riz doré, les mauvaises conditions de vie intrinsèquement liées à leur niveau de pauvreté ne leur permettraient pas d’éviter le risque de malnutrition.
Ces éléments ainsi mis bout à bout confirment que la distribution et la consommation de riz doré ne répondrait en définitive qu’à la surface visible de l’iceberg représentent les carences en vitamine A. Modifier les habitudes de consommation alimentaires sans se concentrer sur les facteurs qui contribuent à la pauvreté ne changera en définitive rien. Au mieux, il serait donc plus pertinent de considérer le riz doré comme l’éventuel complément d’une stratégie de lutte globale contre la pauvreté plutôt que de le présenter comme une seule et unique solution.
ET QU’EN PENSENT LES PERSONNES DIRECTEMENT CONCERNÉES ?
À trop vouloir présenter le riz doré comme une initiative humanitaire pour contrer les diatribes dont il fait l’objet, force est de constater que l’avis des personnes directement concernées par sa consommation semble complètement secondaire, voire facultatif. Pourtant, tout projet humanitaire, quel qu’il soit, nécessite que le matériel distribué ou les pratiques enseignées rencontrent d’une part la compréhension des bénéficiaires et d’autre part leur acceptation. L’acceptation des bénéficiaires ciblés, eu égard à leurs préférences, habitudes culturelles ou leurs besoins reste en effet l’une des pierres angulaires de la réussite d’un projet.
Peut-on en dire autant du riz doré ? Malheureusement non, puisque le débat qui anime partisans et opposants ne contient nulle mention de la question de l’acceptation des communautés concernées, qui par ailleurs valorisent avant tout le riz blanc. Faire fi de ces considérations revient ainsi à nier les habitudes alimentaires des bénéficiaires appelés à consommer le riz doré. C’est également balayer du revers de la main l’utilisation de variétés de riz locales qui peuvent varier d’un endroit à l’autre, d’un groupe à un autre au sein d’un même pays. C’est en définitive renier la valeur socioculturelle qu’une alimentation spécifique peut revêtir pour un groupe.
Ne pas prendre en considération cette réalité revient à s’exposer à l’incompréhension des bénéficiaires, à de farouches résistances voire à un rejet complet, ce qui conduirait à l’échec ce projet pourtant né d’une bonne volonté. À l’image d’autres initiatives humanitaires, il ne suffit pas de vouloir aider pour nécessairement aboutir à une action pertinente et sensée. L’action humanitaire doit en effet répondre à un besoin en fournissant une assistance adéquate et durable tout en prenant soin de toujours préserver la dignité des personnes concernées.
Alors pour résumer:
Le riz doré est-il indispensable à la résolution du problème des carences en vitamine A ? Non, puisque malgré l’étendue et la gravité des effets de ces carences, il existe déjà sur place des aliments sources de cette vitamine.
Le riz doré est-il le moyen le plus adapté pour résoudre le problème des carences en vitamines A ? Non, puisque cela suppose également d’en passer par l’acceptation des communautés concernées. En raison des habitudes alimentaires des personnes ciblées, rien ne garantit que cela puisse se faire de manière facilitée.
Le riz doré est-il donc la stratégie la plus pertinente pour réduire les problèmes de malnutrition ? Au regard des éléments précités, non. Il serait plus pertinent de concevoir un plan de développement holistique, qui prendrait en compte la lutte contre la pauvreté dans sa globalité. Promouvoir le développement économique des communautés les plus pauvres et l’amélioration de leurs conditions de vie contribuera ainsi de manière bien plus efficace et sensée à la résolution du problème de la malnutrition dans le monde.
En définitive, il est donc nécessaire que le projet de riz doré revoie intégralement sa copie s’il souhaite véritablement être considéré comme une œuvre humanitaire. Autrement, il ne sera rien de plus qu’un ridicule pansement sur une jambe de bois.
(1) Ce qui n’est pas le cas, puisque la production agricole mondiale actuelle est en mesure de nourrir 12 milliards d’êtres humains. En revanche, la pauvreté et les écarts de richesses sont, année après année, en constante progression dans le monde entier.
(2) SEN Amartya, Un nouveau modèle économique – Développement, justice, liberté, Odile Jacob, 2003, p.216.
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