Humanitaire : Aider sans fléchir
Loin derrière l’image d’Épinal que l’on se fait de l’humanitaire, il existe de nombreux risques inhérents à la profession. On en parle d’ailleurs très peu, mais travailler dans l’humanitaire c’est être exposé à des conditions de vie très rudes tant d’un point de vue physique que mental, et cela n’épargne personne.
LE STRESS, ENNEMI N°1 DES HUMANITAIRES.
Au regard des contextes dans lesquels l’aide humanitaire est mise en œuvre, il n’est pas bien difficile de comprendre qu’il s’agit aussi et surtout d’un travail éprouvant. D’abord en termes de sécurité, puisque les terrains d’intervention sont tous caractérisés par un certain niveau de danger, soit en raison de la criminalité comme à Haïti par exemple où la multiplication des gangs armés affecte l’action humanitaire, soit à cause de la présence d’un conflit armé comme en Éthiopie ou au Yémen. Par conséquent, et c’est complètement logique quand on y pense, l’existence de tels risques imposent naturellement une restriction de la liberté de mouvements des travailleurs humanitaires à quoi s’ajoute également l’obligation de se soumettre à un couvre-feu strict. Et psychologiquement parlant, ça peut être de plus en plus difficile à vivre lors de longues missions.
Mais à cela s’ajoute aussi des éléments clairement plus endogènes à la profession et qui contribuent tout autant, si ce n’est plus, à la pénibilité du travail humanitaire, tant d’un point de vue physique que mental. En effet, il s’agit aussi d’un métier où, en tant que travailleurs humanitaires, on se retrouve dans des contextes souvent isolés et avec des conditions de vie parfois très rudimentaires, tandis que la charge de travail rend les journées interminables. Et croyez-moi, j’en sais quelque chose, puisque la pression quotidienne, les journées de travail interminables et les conditions de vie très rudimentaires lors de ma seconde mission effectuée au Soudan du Sud m’ont fait perdre 13 kg en l’espace de six mois ! Et mis à part l’épuisement et une crise de paludisme carabinée qui m’ont convaincu de ne pas poursuivre ma mission au-delà de la durée du projet pour lequel j’avais été envoyé, je m’en suis plutôt bien sorti psychologiquement, ce qui n’est pas le cas de tout le monde lorsque l’on est confronté à des conditions de travail et des contextes encore plus rudes qu’au Soudan du Sud.
D’autant plus que, travailler dans l’humanitaire, c’est aussi être exposé à des frustrations quotidiennes, non seulement parce que votre projet n’avance pas aussi vite que vous le voudriez, mais aussi parce qu’il arrive parfois que le siège et l’équipe de coordination ne vous apportent pas le soutien technique dont vous avez besoin. Mais le pire, je crois que c’est avant-tout d’être exposé de manière récurrente, si ce n’est pas quotidienne, à la souffrance humaine et à l’urgence des besoins, soit directement lorsque vous êtes vous-mêmes témoin de la détresse des personnes, soit indirectement lorsque vous savez qu’une ou plusieurs communautés se trouvent dans une situation de détresse extrême sans que pour autant vous ayez la possibilité d’agir.
Et c’est exactement ce qu’il m’est arrivé au Myanmar, dans l’État du Rakhine, où les autorités et l’armée birmanes n’autorisent les organisations humanitaires – à l’exception du CICR et du PAM, dans une certaine limite toutefois – à intervenir qu’aux alentours immédiats de la ville de Sittwe et à quelques îles seulement, alors que partout ailleurs dans l’État du Rakhine les besoins en termes d’assistance alimentaire, de protection et autres sont énormes, autant pour les communautés Rohingyas que pour les communautés bouddhistes.
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Et chacun de ces éléments, qui très souvent se combinent, favorisent l’épuisement des travailleurs humanitaires, à la fois d’un point de vue physique et émotionnel, et peuvent aboutir à différentes formes de détresses psychologiques, qu’il s’agisse :
- d’un burnout, c’est ce que l’on observe lorsque notre épuisement physique et mental ne nous permet plus de résister aux effets du stress,
- de la fatigue compassionnelle, qui se caractérise par des crises de colère, des épisodes de dépression ou une apathie généralisée chez les personnes qui ont été trop longtemps exposées à la souffrance des autres,
- Ou encore du syndrome de stress post-traumatique, le fameux « PTSD », qui peut survenir après avoir été confronté en tant que témoin ou victime à un incident grave ou extrêmement choquant.
Pour éviter d’en arriver là, il est donc essentiel de savoir reconnaitre les signes et les symptômes de stress extrême.
Et c’est pourquoi les organisations humanitaires prennent de plus en plus au sérieux la problématique du stress, afin d’éviter que celles et ceux qui consacrent leur vie à aider les autres ne tombent dans des niveaux de détresse psychologique rapidement insurmontables.
QUE FONT LES ORGANISATIONS HUMANITAIRES POUR LIMITER LE STRESS DE LEURS EMPLOYÉS ?
Pour prévenir le risque d’épuisement total, les organisations humanitaires ont mis en place trois niveaux de prévention complémentaires : la prévention primaire, secondaire et tertiaire.
Et c’est la raison pour laquelle dans les missions les plus difficiles, comme après la survenance d’une catastrophe d’origine naturelle ou lorsque le contexte sécuritaire est tellement tendu qu’il interdit aux travailleurs internationaux toute liberté de mouvement, que la durée des missions d’extrême urgence n’excède que rarement les 3 à 6 mois.
Le second niveau de prévention vise quant à lui à s’assurer que les coordinateurs et chefs d’équipes disposent de tous les outils nécessaires pour identifier et gérer le risque d’incident psychologique au cours d’une mission.
Enfin, il y a ce que l’on appelle la prévention dite tertiaire, et pour laquelle la Cellule de support psychosocial d’une ONG comme Médecins Sans Frontières par exemple, peut être mobilisée lorsqu’un ou plusieurs employés de l’organisation ont été victimes d’un incident.
Mais vous l’aurez bien compris, ces mécanismes de prévention s’appliquent parfaitement bien à la situation des travailleurs internationaux qui, à l’issue de leur mission, peuvent bénéficier d’un sas de décompression et du suivi d’un professionnel de la santé mentale une fois de retour dans leur pays d’origine. Mais qu’en est-il des travailleurs nationaux, qui eux aussi sont exposés au stress des urgences humanitaires mais qui toutefois n’ont pas d’autres choix que de rester dans le pays où ils se trouvent ?
VIVRE ET TRAVAILLER DANS L’URGENCE HUMANITAIRE : LE CAS DES TRAVAILLEURS NATIONAUX.
Effectivement, si les travailleurs humanitaires internationaux sont exposés au risque d’épuisement total avec les conséquences que l’on vient d’évoquer, en quoi le personnel humanitaire national n’y serait-il pas exposé lui aussi ? En réalité, les travailleurs nationaux sont soumis à autant de facteurs de stress que les travailleurs internationaux voire même plus, puisque dans beaucoup de contextes, ce sont surtout eux qui peuvent se rendre dans des zones auxquelles les employés étrangers ne peuvent pas accéder, comme c’est le cas en Syrie ou au Nigéria par exemple.
À ce titre, ils sont par conséquent non seulement les témoins directs de la détresse des personnes en situation d’extrême vulnérabilité, mais ils sont aussi les premiers concernés pour ne pas dire les premières victimes de la situation qui affecte leur propre pays, ce qui pose inévitablement un immense challenge en termes d’équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle.
Cette situation peut d’autant plus être difficile à vivre pour les employés humanitaires nationaux, que c’est aussi directement vers eux que se tournent les personnes aidées pour se plaindre ou pour leur adresser d’autres demandes sans qu’ils puissent y répondre à toutes, ce qui peut leur faire ressentir un sentiment d’impuissance de plus en plus difficile à supporter psychologiquement, au même titre que les employés internationaux. C’est pourquoi il est primordial pour des organisations telles que Médecins Sans Frontières de ne pas seulement se concentrer à apporter du soutien à ses employés internationaux, mais d’en faire au moins tout autant pour ses employés nationaux.
Et en pratique, cela peut notamment passer par la présence de spécialistes en psychologie et en santé mentale dans les rangs des équipes sur place, pour soutenir les employés nationaux lorsque cela est nécessaire :