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« L’éradication de la faim dans le monde est un objectif atteignable. On y croit fortement. »

« L’éradication de la faim dans le monde est un objectif atteignable. On y croit fortement. »

La faim dans le monde progresse depuis plusieurs années, et l’ONU estime d’ailleurs que si la tendance actuelle n’est pas inversée, ce sont plus de 840 millions de personnes qui seront en situation d’insécurité alimentaire d’ici à 2030. L’enjeu de l’éradication de la faim dans le monde revêt donc une importance capitale, d’autant plus que celui-ci est atteignable si l’on s’en donne pleinement les moyens.

Pour mieux comprendre les causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire et analyser la stratégie recommandée par les organisations humanitaires pour parvenir à l’objectif de « zéro faim dans le monde », Carnet de Bord – HUMANITAIRE est parti à la rencontre de Cyril LEKIEFS, Référent Sécurité Alimentaire et Moyens d’Existence pour Action Contre la Faim.


ACTION CONTRE LA FAIM lutte depuis 1979 contre la faim dans le monde. Sa mission est de sauver des vies en éliminant la faim par la prévention, la détection et le traitement de la sous-nutrition, en particulier pendant et après les situations d’urgence liées aux conflits et aux catastrophes naturelles.


Carnet de Bord – HUMANITAIRE : Pouvez-vous nous dresser, avec vos yeux d’expert en sécurité alimentaire, un bref état des lieux de la situation de l’insécurité alimentaire dans le monde aujourd’hui ?

Cyril LEKIEFS, Référent Sécurité Alimentaire et Moyens d’Existence pour Action Contre la Faim : Selon les rapports produits chaque année par les agences de l’ONU, il y aurait 690 millions de personnes sous-alimentées dans le monde. Et depuis plusieurs années déjà, la faim dans le monde s’accroit. Parmi toutes ces personnes sous-alimentées, il y en a qui font malheureusement l’expérience de situations encore plus graves et qui souffrent d’insécurité alimentaire que l’on qualifie de « très sévère ». Le nombre de ces personnes a augmenté de 30% en quatre ans, entre 2016 et 2020, et un nouveau bond de 30% en une seule année est attendu, en raison des crises récentes, notamment le Covid-19.

La situation est donc absolument catastrophique, dans plusieurs pays en particulier. Des alertes ont d’ailleurs été lancées par les agences des Nations Unies et par les ONG pour alerter sur la gravité de la situation, comme en Octobre et en Février dernier assorties d’une demande de fonds supplémentaires pour pouvoir apporter une réponse à ces crises alimentaires.

Cyril LEKIEFS, Référent Sécurité Alimentaire et Moyens d’Existence pour Action Contre la Faim

Toutefois, lorsque l’on analyse la situation actuelle avec un regard historique sur les 150 dernières années, la mortalité liée à l’insécurité alimentaire est à son plus bas niveau. Depuis 2000, on estime que 600 000 personnes sont mortes de faim, notamment suite aux crises alimentaires qui se sont produites au Malawi, en Ouganda, en Somalie, au Nigéria, au Soudan du Sud et au Yémen. Cependant, les réponses humanitaires qui se sont développées ces dernières décennies ont permis de sauver de nombreuses vies, notamment plus récemment au Darfour, au Yémen et au Soudan du Sud. De plus, les situations de famine se sont également réduites. Aujourd’hui, les famines sont beaucoup plus localisées, comme ce fut le cas en 2017 au Soudan du Sud. Néanmoins, les 600 000 personnes qui sont mortes de faim depuis le début des années 2000 sont 600 000 morts de trop.

Carnet de Bord – HUMANITAIRE : Comme vous l’avez souligné, les chiffres liés à l’insécurité alimentaire dans le monde sont en constante augmentation depuis 2014. En tant que référent Sécurité Alimentaire et Moyens d’Existence pour Action Contre la Faim, comment expliquez-vous que des millions de personnes soient toujours exposées au risque de mourir de faim en 2021 ?

Cyril LEKIEFS : Si on lit les derniers rapports des agences onusiennes, et notamment le rapport SOFI, ces rapports expliquent que la recrudescence de la faim dans le monde est liée à l’augmentation des conflits, qui se multiplient sur plusieurs continents, ainsi qu’au changement climatique et aux crises économiques. Il est vrai que ce sont des facteurs qui sont importants, qui accroissent l’insécurité alimentaire, qui privent les populations d’un accès à la nourriture, qui abaissent les rendements agricoles, qui provoquent des chocs importants, des déplacements de populations… Dans les situations de conflit par exemple, la faim parfois est utilisée comme une arme de guerre. Les parties au conflit peuvent délibérément affamer les populations en détruisant les infrastructures agricoles, les marchés, en vue d’objectifs militaires. C’est quelque chose que l’on peut voir, notamment au Yémen, mais également dans d’autres contextes.

Ceci dit, ces différents rapports manquent souvent de pointer du doigt les inégalités socio-économiques, qui sont elles-mêmes engendrées par des politiques ou des investissements qui la plupart du temps ignorent les populations les plus vulnérables. Ce sont en effet les inégalités socio-économiques qui sont sous-jacentes à la faim dans le monde. Ces inégalités socio-économiques sont également engendrées par un système alimentaire mondialisé et qui se base notamment sur beaucoup d’importations et d’exportations.

Ce système alimentaire produit dans certains pays des situations d’obésité et de surnutrition qui tuent, tout en produisant dans d’autres pays des situations de sous-nutrition qui tuent également. L’alimentation est également considérée comme une marchandise soumise aux règles de la concurrence, à l’offre et à la demande, ce qui engendre des spéculations sur les cours des matières premières, sur les cours des céréales, les oléagineux et entraine finalement une augmentation des prix de ces produits de base. Au final, ce sont les populations désargentées qui en souffrent, car elles n’ont plus accès à cette alimentation. On a donc affaire à un système alimentaire malade et déréglé

De plus, on produit aujourd’hui assez de nourriture pour pouvoir tous les habitants de la planète, y compris les 9 milliards que l’on attend en 2050. Il n’est donc pas question de surpopulation de la Terre comme certains peuvent affirmer. Le problème de la faim dans le monde n’est donc pas inéluctable, c’est un problème de volonté politique.

Carnet de Bord – HUMANITAIRE : Quel est le pays, le contexte d’intervention pour lequel la réponse d’Action Contre la Faim en termes de sécurité alimentaire nécessite le plus de moyens en raison de son degré d’urgence ? En quoi consistent les activités mises en œuvre sur place ?

Cyril LEKIEFS : Malheureusement, ces pays sont multiples. Les différents rapports à ce sujet mentionnent dix pays où la situation est absolument catastrophique.

En premier lieu, il y a la République Démocratique du Congo, l’Afghanistan et le Yémen. Dans ces pays, il y a plus de 5 millions de personnes qui se trouvent en situation d’urgence alimentaire. La situation d’urgence alimentaire est la situation qui précède la phase de famine. Il y a aussi le Sud Soudan, le Nigéria, le Soudan, le Venezuela, Haïti et l’Éthiopie. Dans ces pays, on compte plus d’un million de personnes qui se retrouvent en situation d’urgence alimentaire. Enfin, il y a également la Centrafrique et le Zimbabwe, où plus de 500 000 personnes se retrouvent en situation d’urgence alimentaire.

Parmi ces dix pays, il y en a deux qui ont déjà plusieurs dizaines de milliers de personnes en phase 5, c’est-à-dire en situation de famine. Il s’agit du Soudan du Sud et du Yémen. 

Cyril LEKIEFS, Référent Sécurité Alimentaire et Moyens d’Existence pour Action Contre la Faim

Au sein d’Action Contre la Faim, nous suivons également de très près Madagascar et le sud du pays. Depuis deux ans, Madagascar subit en effet les contrecoups d’une sècheresse, et la sécurité alimentaire sur place se dégrade très fortement.

Dans l’ensemble de ces pays, on intervient en coordination avec les autres agences humanitaires afin d’éviter les duplications et répartir l’aide humanitaire là où les besoins ne sont pas couverts et sont les plus importants. Cette assistance d’urgence peut prendre différentes formes. Il peut s’agir d’une assistance en distribution de biens alimentaires, d’interventions monétaires, ou des cantines pour certaines personnes comme les enfants, les femmes enceintes ou allaitantes qui souffrent de malnutrition. Il peut également s’agir d’interventions en protection sociales. Mais à côté de ça, il est important de penser au développement économique et social des communautés aidées, en travaillant sur l’autonomisation de ces populations au travers de programmes de développement agricole ou de développement économique de manière à ce que ces personnes ne restent pas dans la dépendance de l’aide alimentaire.

Aussi et surtout, Action Contre la Faim met en œuvre des actions multisectorielles. En effet, les personnes qui souffrent de carences alimentaires ont généralement un mauvais accès aux systèmes de santé, vivent dans des conditions d’hygiène qui sont inadéquates, c’est pourquoi les programmes sont multisectoriels afin d’apporter des réponses aux différents besoins de ces populations.

Carnet de Bord – HUMANITAIRE : Au sein des Objectifs Durables pour le Développement, les Nations Unies ont inscrit l’objectif d’éliminer la faim et à la malnutrition sous toutes leurs formes d’ici 2030. Entre d’une part cet objectif ambitieux et d’autre part la tendance actuelle qui est inquiétante, pensez-vous que cela sera possible ? Quels sont selon vous les principaux enjeux auxquels il est nécessaire de s’atteler pour y parvenir, ou au moins s’en rapprocher ?

Cyril LEKIEFS : Cet horizon à 2030 est plutôt mal parti, puisque la situation se dégrade depuis quatre ans. Elle n’a d’ailleurs jamais été aussi dégradée dans un passé assez récent, c’est pourquoi cet objectif de « zéro faim dans le monde » en 2030 ne parait plus réaliste.

Ce qu’il faudrait faire, c’est d’abord renforcer le système de gestion des risques au travers de systèmes d’alertes précoces de manière à ce que l’on puisse détecter des situations très problématiques de manière anticipée, afin de pouvoir mieux les prévenir, élaborer des plans de contingence et mettre en œuvre des actions rapides avant que les situations ne se dégradent et n’atteignent des niveaux comme ceux que l’on connait aujourd’hui.

Par ailleurs, il y a souvent le lien entre les alertes précoces et les interventions précoces qui n’est pas assez fait. Ce lien doit être renforcé. En effet, il n’est pas rare que l’on soit conscient de situations qui se dégradent mais pour lesquelles nous ne sommes pas écoutés, des situations dans lesquelles des partenaires et des bailleurs demandent plutôt à voir où sont les morts avant d’intervenir. 

Et puis on constate un déséquilibre hyper important entre les financements dédiés aux activités d’urgence, et ceux dédiés aux activités de développement. Il faut pourtant donner plus de prépondérance au développement de manière à pouvoir lutter contre les inégalités socio-économiques et accroitre la résilience des populations. Parce que lorsque l’on agit trop tard, ça coute très cher, et ça engendre beaucoup de souffrance humaine voire de la mortalité.  Mais l’éradication de la faim dans le monde est un objectif atteignable. C’est le mandat d’Action Contre la Faim et on y croit fortement.


Carnet de Bord – HUMANITAIRE tient très sincèrement à remercier Cyril LEKIEFS et Mathieu FORTOUL d’ACTION CONTRE LA FAIM pour non seulement avoir rendu cet interview possible, mais également pour la précision et les détails de ces réponses.

Pour en savoir plus sur les activités d’ACTION CONTRE LA FAIMcliquez ici ⬅️.

Note : Ce billet est une retranscription écrite d’une interview enregistrée le 30 avril 2021.


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