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Guerre en Ukraine: Famine mondiale à l’horizon ?

Guerre en Ukraine: Famine mondiale à l’horizon ?

La guerre va-t-elle finir par éclater ou non en Ukraine ? C’est la question que tout le monde se pose depuis plusieurs semaines, et je commencerai donc par cela : le territoire de l’Ukraine est déjà touché par la guerre. En fait, ça fait déjà 8 ans que c’est le cas et ce n’est pas moi qui le dis, c’est le droit international humanitaire. Et pour être tout à fait précis, c’est un conflit armé non-international qui a pris place dès 2014 dans l’Est de l’Ukraine, entre d’une part les forcées armées ukrainiennes et d’autre part les milices séparatistes pro-russes. Deux critères permettent effectivement de qualifier la situation ukrainienne de conflit armé non-international, à savoir :

  • Le fait que le niveau d’intensité des violences observées dans l’Est de l’Ukraine va bien au-delà de ce que l’on pourrait qualifier de troubles ou de tensions intérieurs. Ces violences ne sont d’ailleurs ni isolées ni sporadiques.
  • De plus, le caractère non-étatique des forces séparatistes pro-russes confirme qu’il s’agit bien d’un conflit armé non-international, renforcé par le fait que ces groupes armés ont démontré un certain niveau d’organisation au travers de l’ampleur du territoire qu’ils contrôlent et des opérations militaires qu’ils mènent.

Mais la situation ukrainienne peut aussi être qualifiée de conflit armé international, c’est-à-dire que dans ce cas-là on parle d’une guerre entre deux pays, puisque les forcées armées ukrainiennes ne sont pas seulement en confrontation avec les séparatistes du Donbass, mais aussi avec l’armée russe. En effet, si jusqu’en 2022 l’implication de la Russie faisait l’objet de beaucoup débats, le doute n’est aujourd’hui plus possible, depuis que les troupes russes ont franchi la frontière ukrainienne et mènent une véritable offensive militaire dans tout le pays.

Alors comment en est-on arrivé là ? Pour comprendre la situation actuelle, je vous propose de revenir trois décennies en arrière, en 1991 pour être exact. Cette année-là, l’Union des républiques socialistes soviétiques, que l’on désigne aussi par l’acronyme URSS et dont la Russie constituait le cœur de cet Empire, finit par s’effondrer. Cela permet de cette manière à l’Ukraine et 13 autres républiques soviétiques de retrouver leur indépendance. Et en l’espace d’une décennie et demie, la sphère d’influence de la Russie qui historiquement s’étendaient jusqu’à ces anciennes républiques soviétiques finit par se réduire drastiquement au profit de l’élargissement vers l’Est de l’OTAN et de l’Union Européenne. Pendant un certain temps, l’Ukraine envisage d’ailleurs à son tour de s’éloigner de l’influence russe et initie des discussions en vue d’intégrer l’Union Européenne.

Mais en 2013, le Président ukrainien Victor Ianoukovitch décide finalement de mettre fin à ces discussions et annonce quelques jours plus tard la signature d’un accord économique avec la Russie. À partir de ce moment-là, des manifestations pro-occidentales sont organisées et celles-ci prennent une telle ampleur qu’elles conduisent à la destitution de Victor Ianoukovitch. Mais dans l’Est de l’Ukraine, dans la région du Donbass, une insurrection armée éclate en opposition aux manifestations pro-occidentales et provoque la mort de plus de 150 000 personnes. Des milices séparatistes pro-russes finissent par prendre le contrôle des oblasts de Donestsk et de Lougansk tandis que dans la foulée, la Crimée, qui est une région du sud de l’Ukraine, proclame son indépendance et vote par référendum son rattachement à la Russie, sans que cela soit reconnu par l’ONU et la quasi-unanimité de la communauté internationale.

En février 2015, un accord de cessez-le-feu est signé à Minsk, en Biélorussie, et bien que celui-ci ne soit pas parfaitement respecté, il permet néanmoins de maintenir un statu-quo plus ou moins stable pendant plusieurs années. Mais dès Octobre 2021, la Russie finit par déployer plus de 100 000 soldats et matériel militaire à la frontière ukrainienne en indiquant qu’il s’agit d’une réaction à la possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN – même si le pays n’a jamais formulé de demande en ce sens – et du rapprochement des infrastructures militaires de l’OTAN vers la Russie, comme celles installées en Pologne et en Roumanie. Sans attendre, les États-Unis décident quant à eux de mobiliser 8 500 soldats dans l’Est de l’Europe et menaçent la Russie d’une réponse « sévère » si celle-ci décidait de franchir la frontière ukrainienne. Et malgré d’intenses pourparlers pour tenter d’atténuer les tensions, la Russie a finalement décidé de reconnaitre l’indépendance des deux républiques séparatistes du Donbass et a ordonné à son armée de franchir la frontière ukrainienne.

L’avenir nous dira si cette décision russe contribuera à l’augmentation des tensions en Ukraine, et si c’est le cas, comment cela se traduira en termes de stratégie pour les puissances impliquées. Ce qui est toutefois certain, c’est que si cela provoque de nouveaux affrontements armés dans le Donbass et le reste du territoire ukrainien, on se dirige alors vers de graves conséquences humanitaires dans un pays fragilisé, qui déjà compte 3,4 millions de personnes qui nécessitent une aide humanitaire, et dont 1,5 millions ont été déplacées à cause des violences dans le Donbass. D’ailleurs si vous ne le saviez pas, la crise humanitaire ukrainienne est celle qui comporte la plus grande proportion de personnes âgées au monde, puisque plus d’un tiers des personnes qui nécessitent une aide humanitaire dans ce pays ont plus de 65 ans. Et la raison est simple : les régions qui comptent le plus de besoins humanitaires sont aussi celles qui sont le plus exposées aux affrontements armés, et beaucoup des personnes qui se trouvent dans ces régions n’ont tout simplement plus la capacité physique et mentale de quitter leur maison et leur région natale pour fuir les combats. La conduite des hostilités entre les troupes russes et l’armée ukrainienne a également pour conséquence d’augmenter le risque qu’un afflux massif de réfugiés vers d’autres pays européens se produise. Le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Réfugiés estime d’ailleurs que plus de 500 000 réfugiés ukrainiens ont d’ores et déjà fui vers les pays voisins, dont la moitié en Pologne où neuf centres d’accueil ont été ouverts à proximité des principaux postes-frontières (Dorohusk, Dolhobyczow, Zosin, Hrebenne, à Korczowa, Medyka, Budomierz, Kroscienko et Przemysl), mais aussi en Hongrie, en Moldavie, et en Roumanie notamment.

Mais si l’avancée des troupes russes sur le territoire ukrainien provoquent de nouveaux affrontements armés, les conséquences humanitaires pourraient également s’observer sur le plan de l’accès à des denrées alimentaires. En effet, toutes les tensions se concentrent dans l’Est de l’Ukraine, et c’est justement dans l’Est du pays que sont concentrées le plus grand nombre de zones agricoles. Autrement dit, une extension des violences armées aurait pour conséquence de bouleverser la production agricole, puisqu’elles empêcheraient les agriculteurs d’accéder à leurs terres et donc de cultiver et de récolter quoi que ce soit. Et de la même manière, des bombardements et des échanges armés provoqueraient la destruction des équipements indispensables à l’agriculture comme les silos qui stockent les récoltes ou encore des infrastructures qui permettent l’approvisionnement de l’ensemble du pays comme les routes et les moyens de transport.

Et s’il n’y a plus de production agricole, il ne peut pas non plus y avoir d’exportation. Et le problème, c’est que de nombreux pays dépendent de l’Ukraine pour leur approvisionnement en matières premières agricoles de base comme le blé, le maïs ou le colza.

Les terres agricoles ukrainiennes, qui d’ailleurs recouvrent 70% du pays, sont effectivement considérées comme faisant partie des plus fertiles dans le monde. Elles sont composées de tchernoziom, cette terre de couleur noire très concentrée en humus et qui ne nécessite que très peu d’engrais pour produire de hauts rendements. Et c’est grâce à cette configuration avantageuse que l’Ukraine est aujourd’hui l’un des plus grands exportateurs de céréales dans le monde. En 2020 par exemple, le pays était le 5ème exportateur mondial de blé, puisque sur les 24 millions de tonnes qui ont été produites en Ukraine cette année-là, 18 millions de tonnes ont été exportées, soit 75% de la production !

Alors si les affrontements armés s’intensifient en Ukraine, ce serait donc une catastrophe mondiale en termes d’approvisionnement en matières premières agricoles. Bon, peut-être pas au niveau européen. Car même si l’Ukraine est le quatrième exportateur de denrées agricoles pour l’Europe, derrière le Royaume-Uni, le Brésil et les États-Unis, l’Europe saurait limiter les effets d’un tel bouleversement puisque d’une part, le continent européen est déjà, avec ou sans l’Ukraine, un immense producteur agricole. Et d’autre part, les sources d’importation des pays européens sont suffisamment diversifiées, c’est-à-dire que les importations de produits agricoles proviennent de plusieurs États à la fois, ce qui a pour effet de ne pas placer le continent européen en position de dépendance vis-à-vis d’un pays en particulier.

C’est en revanche complètement différent pour de nombreux pays d’Afrique du Nord et d’Asie qui dépendent majoritairement de l’Ukraine pour s’approvisionner en matières premières agricoles. 

Il y a par exemple :

  • L’Égypte, dont 14% du blé consommé dans le pays provient d’Ukraine,
  • Le Bangladesh, avec 21% de blé également importé d’Ukraine,
  • 22% au Yémen,
  • 23% en Turquie,
  • 28% en Indonésie et en Malaisie,
  • 44% en Libye,
  • Et pas moins de 50% pour le Liban !

En cas de diminution ou de rupture des exportations agricoles ukrainiennes, cela serait donc absolument catastrophique pour ces pays et plus particulièrement encore pour le Liban, puisque que le régime alimentaire de base de la population libanaise repose pour un tiers sur la consommation de pain et de produits dérivés du blé.

Au total, on compte pas moins de 14 pays dans le monde qui dépendent de l’Ukraine au moins à hauteur de 10% pour leur approvisionnement en blé. Et ce constat est d’autant plus inquiétant que, lorsque les marchés agricoles se retrouvent de plus en plus tendus, cela contribue à la hausse des prix alimentaires, avec le risque de provoquer des manifestations qui peuvent dégénérer en révoltes armées et faire basculer des régimes. Cela a été le cas avec la Révolution Française de 1789, avec les émeutes de la faim en 2008 dans une dizaine de pays, avec l’émergence des Printemps Arabes dès 2010 ou encore lors la chute du régime d’Omar El-Béchir au Soudan en 2019. Et un tel risque doit d’autant plus être pris au sérieux, que la tension sur les marchés agricoles est d’ores et déjà très vive, puisque la FAO a annoncé que les prix des matières premières agricoles avaient atteint en 2021 leur plus haut niveau depuis dix ans. Alors imaginez ce que cela donnerait dans des pays comme le Liban, le Yémen ou la Libye qui sont à la fois dépendant de l’Ukraine pour leur approvisionnement en matières premières agricoles, mais qui en plus sont déjà concernés par des problèmes de sécurité alimentaire ou d’instabilité politique, voire les deux à la fois !.. 

En conclusion, et c’est là où je veux en venir depuis le début de cet épisode, c’est que le risque que des affrontements s’étendent en Ukraine aurait non seulement de graves conséquences humanitaires dans l’ensemble de ce pays, mais aussi sur la paix et la sécurité mondiale, ne serait-ce qu’au travers de la menace que représente cette hypothèse sur le plan de la sécurité alimentaire. Car c’est bien cela qu’il faut garder à l’esprit, les effets et les conséquences d’un conflit armé ne se limitent jamais uniquement au pays dans lequel il a lieu.


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