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Le droit international humanitaire doit-il être intégré aux jeux-vidéo ?

Le droit international humanitaire doit-il être intégré aux jeux-vidéo ?

S’il est une catégorie de jeux-vidéo dont le succès actuellement ne se dément pas, il s’agit bien des simulations de guerre. Vendus à plusieurs millions d’exemplaires chaque année, rapportant jusqu’à plusieurs millions de dollars (voire le milliard !), ces jeux se vantent de pousser le réalisme des conflits armés jusque dans ses derniers retranchements à défaut de proposer un scénario digne de ce nom.

Souci du réalisme oblige, ces jeux devraient en tout état de cause appliquer également les conditions et autres règles qui régissent les conflits armés – le droit international humanitaire – et que chaque belligérant en situation réelle est tenu de respecter. Pourtant, force est de constater que beaucoup d’éditeurs de jeux-vidéo ne prennent guère en considération cette exigence, faisant ainsi passer leur produit pour de véritables défouloirs qui n’ont de simulation que le nom.

LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE POUR LIMITER L’INHUMANITÉ DES GUERRES.

Le droit international humanitaire, que l’on désigne également sous l’appellation de droit des conflits armés ou droit de la guerre tient notamment son origine de l’action de Henry Dunant – le fondateur de la Croix-Rouge – selon qui, après avoir été témoin de la bataille de Solferino en 1859, il était nécessaire d’apporter une assistance médicale aux blessés, quel que soit le camp pour lequel ils s’étaient battus. Cette idée est devenue la pierre fondatrice du droit humanitaire, qui au moyen des Conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels vise à limiter les effets de la guerre.

Croix, croissant et cristal, les emblèmes du Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Source: CICR.

L’article 3 des Conventions de Genève dispose ainsi que « les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité ».

Le droit international humanitaire a également vocation à réglementer voire à prohiber des pratiques. Sont ainsi interdites au titre de l’article 3 des Conventions de 1949 « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;
les prises d’otages ; les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés ». De la même manière, l’utilisation de certaines armes est également prohibée, à l’image des bombes à sous-munition.

Un autre principe essentiel du droit international humanitaire est contenu à l’article 48 du Protocole additionnel de 1977, lequel prévoit que « les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires ».

DE LA NÉCESSITÉ D’INTÉGRER LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE DANS LES JEUX-VIDÉOS.

Selon un rapport de Novembre 2009 (« Playing by the Rules: Applying International Humanitarian Law to Video and Computer Games ») tiré d’une étude réalisée par l’organisation suisse TRIAL et l’association Pro Juventute, il est révélé que parmi une vingtaine de jeux examinés (notamment Battlefield, Call of Duty, World in Conflict, Splinter Cell…) ceux-ci représentaient souvent des scènes de violence et incitaient les joueurs à les reproduire au sein des jeux.

Scène tirée du chapitre « No Russians » de COD: Modern Warfare 2. Droits: Activision.

À titre d’exemple, Call of Duty 4: Modern Warfare comporte une mission de mitraillage depuis un hélicoptère où le joueur est amené à utiliser un imageur thermique pour déterminer leurs cibles sans qu’il soit fait de différence entre un militaire et un civil. Dans le jeu Call of Duty: Modern Warfare 2, une scène intitulée « Civilian slaughter » propose au joueur de coopérer avec des terroristes russes afin massacrer des centaines de civils dans l’aéroport de Moscou. Un autre jeu avait également soulevé une vive polémique avant de voir sa sortie finalement annulée, à savoir « Six days in Fallujah », lequel devait retracer l’offensive militaire américaine dans la ville de Fallujah en Irak, en octobre 2004, et qui s’est soldée par le massacre de près de 1 000 civils.

« Les jeux vidéo devraient saisir l’occasion de promouvoir [les] normes [du droit international humanitaire] plutôt que de donner l’illusion que la violence est sans limites » estiment ainsi les ONG dans leur rapport de 2009, de telle sorte qu’ils « ne constituent [pas] des espaces indifférents à la loi et à l’éthique. Il serait donc souhaitable que les jeux de guerres fictifs soient régis par les mêmes normes que celles qui régissent de véritables conflits armés ».

Pourtant, beaucoup de joueurs et l’ensemble des développeurs crient au scandale lorsque ces éléments de réflexion sont avancés, prétextant qu’« il ne s’agit que de jeux », et que ce ne sont pas ces loisirs qui inciteront quiconque à commettre un massacre dans sa ville. Ce à quoi Frida Castillo – membre de l’association TRIAL – répond que « même si la majorité des joueurs ne seront jamais soldats, ces jeux font passer le message que les militaires ont droit de vie ou de mort en temps de guerre. C’est faux et il est important de le rappeler en intégrant la loi humanitaire dans les jeux vidéo. Les tortures et les humiliations d’Abou Ghraib montrent ce qui arrive quand on s’imagine avoir tous les droits ».

Enfin, le Comité International de la Croix Rouge a affirmé lors d’une réunion sur la question de la violence dans les jeux-vidéo et leur portée sur les joueurs qui s’est tenue en parallèle à la 31e conférence internationale de la Croix Rouge et du Croissant Rouge à Genève en décembre 2011, qu’« il y a une population d’environ 600 millions de joueurs qui semble violer le droit international humanitaire dans un monde virtuel ».

ALORS, LA GUERRE VIRTUELLE ET LE DROIT, COMPATIBLES ?

On ne le répètera jamais assez – et n’en déplaise aux gamers, je suis moi-même un joueur invétéré ! –, la guerre n’est véritablement pas un espace de jeu. Elle est une réalité qui reste la cause principale d’atrocités commises sous des prétextes aussi divers que variés. Elle est la source de trop nombreuses impunités et est également en partie responsable de crises alimentaires dans le monde. Chaque année et pour chaque conflit, la guerre fait plusieurs milliers de morts et ce genre de loisir que représentent les simulations de guerre tend à le faire oublier.

Quoi qu’en disent les joueurs les plus libertaires et les défenseurs de la création vidéoludique sans limite, l’objet d’une réflexion en vue d’intégrer le droit international humanitaire n’a pas de finalité purement moraliste, barbante au possible, pas plus qu’elle n’est aucunement nourrie par les hypothèses les plus folles selon lesquelles la violence dans les jeux-vidéo encouragerait qu’elle soit reproduite dans l’espace de vie réel.

Au contraire, il s’agit davantage d’éclairer la pensée des joueurs pour qu’ils ne soient pas rendu insensibles aux bavures et autres exactions qu’un véritable conflit armé peut provoquer. Il est également question d’éviter de faire passer la guerre comme un défouloir soumis à aucune règle si ce n’est celle de la survie.

De plus, intégrer les règles du droit international humanitaire permettrait à ces jeux de véritablement se définir comme étant proches de la réalité, pas uniquement au niveau des graphismes, mais également au niveau du contenu. De la même façon qu’une simulation de sport comporte tout l’attirail des réglementations à respecter sans qui quiconque ne s’en plaigne, il serait en définitive logique que la guerre virtuelle se voit également dotée des règles du droit des conflits armés.

QUELQUES INITIATIVES DÉJÀ NOTABLES.

Il serait toutefois injuste de terminer cette analyse sans mentionner plusieurs initiatives particulièrement intéressantes. Citons en premier lieu le contenu additionnel du jeu Arma III qui, intitulé « Laws of War », permet d’incarner un groupe de travailleurs humanitaires chargés d’apporter une réponse rapide aux besoins et d’identifier et neutraliser les mines déposées dans la trame scénaristique du jeu. Développée par Bohemia Interactive en partenariat avec le Comité International de la Croix-Rouge et sortie en 2017, cette extension a reçu un accueil favorable, tant de la part de la presse vidéoludique que des joueurs eux-mêmes qui ont salué l’aspect mature et réaliste de l’initiative sans que le plaisir de jouer ne s’en retrouve affecté.

Quelques années auparavant, les développeurs de 11 Bit Studios ont proposé au travers de This War of Mine de changer de point de vue en dirigeant une équipe de civils dans un contexte inspiré du siège de Sarajevo. Le jeu est ainsi décrit par ses développeurs : « This War of Mine propose de voir la guerre sous un tout nouvel angle. Pour la toute première fois, vous ne jouez pas le rôle d’un soldat d’élite, mais plutôt un groupe de civils qui tente de survivre dans une ville assiégée. La journée, des snipers vous empêchent de quitter votre refuge, vous devez donc tout faire pour rester caché. La nuit, il vous est possible d’explorer les alentours à la recherche d’objets qui vous aideront à rester en vie. Faire des choix uniquement dictés par votre conscience sur des questions de vie ou de mort. Tenter de protéger tout le monde dans votre abri ou sacrifier certains d’entre eux pour faciliter votre survie. Pendant la guerre, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises décisions ; il n’est question que de survie. Plus tôt vous réalisez cela, mieux ce sera. »

Une nouvelle fois, l’accueil pour ce jeu s’est révélé être très positif et plusieurs nominations et récompenses à divers festivals lui ont même été accordées, démontrant ainsi qu’il est bien possible d’intégrer une dimension réaliste et intelligente à ce genre de jeu-vidéo sans pour autant nuire au plaisir vidéoludique en soi.


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