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Rohingyas: Deux ans après la crise rien n’a changé.

Rohingyas: Deux ans après la crise rien n’a changé.

Il y a tout juste deux ans jour pour jour débutait l’une des crises humanitaires majeures de notre siècle : Près d’un million de Rohingyas prennent la fuite depuis leur pays – le Myanmar – pour se réfugier de l’autre coté de la frontière, au Bangladesh. Aujourd’hui, que reste-il de cette crise ? Quelle est la situation pour les Rohingyas réfugiés au Bangladesh ? Et qu’en est-il pour les dizaines de milliers de Rohingyas restés au Myanmar ?

Au commencement, il y avait la haine intercommunautaire.

Crédit: Kofi Annan Foundation

Commençons tout d’abord par nous remémorer ce qu’il s’est passé, et pourquoi nous en sommes là aujourd’hui. Le 24 août 2017, la Commission consultative sur l’État Rakhine présidée par le regretté Kofi Annan rend son rapport. Au travers de ce rapport, l’idée est de proposer des idées et des axes de réformes afin de calmer les violences meurtrières qui opposent les musulmans et les bouddhistes de la région. Depuis 2016, un regain de violence dans la région fait craindre le pire.

En effet, du coté Rohingya, des groupuscules armés plus ou moins organisés décident d’attaquer des postes-frontières tenus par des policiers birmans, lesquels sont considérés comme une extension du gouvernement répressif qui leur refuse tout droit. Pour dire les choses clairement, la minorité Rohingya au Myanmar ne dispose d’aucun droit. Ils n’ont pas la nationalité birmane (ni aucune autre), même s’ils sont nés au Myanmar, leur liberté de mouvement est très restreinte voire tout simplement inexistante, et leurs conditions de vie atteignent un niveau d’indignité difficile à imaginer.

Mais face à cette rébellion, le gouvernement birman, plutôt que de se remettre en question ou d’amorcer un processus de discussions pour désamorcer ces violences, ne fait pas d’autre choix que de répondre de la manière la plus forte possible: des villages entiers sont rasés et/ou brûlés et déjà, des dizaines de milliers de personnes fuient vers le Bangladesh.

C’est dans ce contexte très tendu que la Commission consultative sur l’État Rakhine est créée, laquelle publiera son rapport après un an de réflexions et de discussions. Dans les grandes lignes, cette Commission insiste sur la nécessité de réaliser des réformes sur les questions liées à l’identité et à la citoyenneté, ainsi que sur la liberté de mouvement pour toutes les personnes dans l’État du Rakhine, faisant ainsi implicitement allusion à la situation qui affecte les Rohingyas.

Crédit: REUTERS/Damir Sagolij

Coïncidence ou pas, un groupe armé de défense des droits des Rohingyas – ARSA, pour Arakan Rohingya Salvation Army ou Armée du Salut des Rohingyas de l’Arakan – a la malencontreuse idée d’attaquer plusieurs postes-frontières le même jour que celui de la publication du rapport de la Commission consultative sur l’État Rakhine. Le bilan de ces attaques est terrible, puisque plusieurs dizaines de personnes y trouveront la mort, de tous les cotés : des rohingyas armés, des policiers, des civils… La réaction du gouvernement et de l’armée du Myanmar – que l’on désigne localement sous le nom de « tatmadaw » – est d’autant plus terrible puisque plusieurs centaines de milliers de personnes fuient d’urgence le nord de l’État du Rakhine pour aller se réfugier au Bangladesh, dans le district de Cox’s Bazar.

Durant plusieurs semaines, l’armée birmane se livre à de telles atrocités – on parle de villages incendiés, récoltes détruites, mais aussi des exécutions arbitraires et des viols – que les Nations Unies n’hésitent par à désigner ces terribles exactions « d’exemple classique de nettoyage ethnique ». Le terme est glaçant, mais on cherche alors à faire réagir, à avertir une nouvelle fois le monde sur la survenance imminente d’une catastrophe humaine majeure. Les gens fuient, mais pour le gouvernement birman cela ne suffit pas. Il annonce en effet dans le sillage de ses opérations militaires reprendre le contrôle de toutes les terres ayant précédemment appartenu aux personnes qui ont fui vers le Bangladesh. Et comme les villages dépeuplés de leur population sont systématiquement brûlés, la loi birmane confirme la légalité de la décision du gouvernement.

En effet, une loi birmane – la Natural disaster management law et les Disaster management rules – dispose que toute terre qui fait l’objet d’une catastrophe naturelle ou d’origine anthropique tels que les incendies est automatiquement transférée au gouvernement. De là à dire que le gouvernement n’est animé d’aucune volonté pour encourager le retour des Rohingya, il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, il y a près de deux ans, j’avais déjà écrit un billet à ce sujet, qui est toujours parfaitement d’actualité aujourd’hui.

Rajoutons également qu’au Myanmar, toute personne qui réclame un droit d’usage sur une terre doit en premier lieu prouver sa nationalité birmane, ce qui est donc littéralement impossible pour tout Rohingya. Eux qui ont été poussés à fuir et qui ne disposaient déjà d’aucun droit, se retrouve dès lors sur une terre qui n’est vraiment pas la leur, dans un pays qui ne l’est pas non plus : le Bangladesh. En août-septembre 2017, la saison des pluies n’est pas encore totalement terminée et déjà les conditions de vie sont à la limite de l’imaginable, le niveau d’hygiène régnant dans ces camps de réfugiés étant proche de zéro.

Deux ans plus tard, rien n’a changé.

Aujourd’hui, deux ans après le déplacement de ce quasi-million de personnes, qu’en est-il ? D’un point de vue humanitaire, c’est peu ou prou la même chose. Il faut comprendre par là que malgré les énormes efforts entrepris par les organisations humanitaires, les conditions de vie de ces réfugiés côtoient toujours des niveaux d’indignités inconcevables. Du coté politique, les gouvernements birman et bangladais vont tantôt accuser l’autre de mauvaise volonté au sujet du rapatriement des réfugiés Rohingya, tantôt essayer de calmer les foudres de la communauté internationale en prétendant travailler sur la résolution de la crise.

C’est sur cette seconde tendance que les gouvernements birman et bangladais s’accordent en ce moment. En effet, ils ont annoncé il y a quelques jours que le rapatriement d’environ 3500 réfugiés Rohingya sera prochainement organisé. Mais rien n’est encore joué. En effet, le Myanmar accuse une nouvelle fois le gouvernement bangladais de ne pas faciliter leur retour. De leur coté, les Rohingya clament haut et fort qu’ils refuseront de partir tant que des garanties de sécurité (notamment) ne leurs seront pas accordées.

Crédit: Maaz Hussain-VOA

Il faut savoir que la communauté humanitaire, les Nations Unies en tête, s’opposent également à un tel rapatriement. La raison est toute simple : les conditions assurant un retour sécurisé, volontaire et respectant la dignité des personnes concernées ne sont pas réunies. La communauté humanitaire s’appuie aussi sur ce que l’on appelle les « Principes Pinheiro », qui portent sur la restitution des logements et des biens dans le cadre du retour des réfugiés et autres personnes déplacées. Et la proposition de retour telle qu’annoncée par le gouvernement birman ne prend nullement en compte ces principes.

Et puis encore aujourd’hui, une grande insécurité demeure dans l’État du Rakhine. En premier lieu parce qu’un violent conflit armé s’y déroule, opposant l’armée birmane à un groupe rebelle bouddhiste revendiquant l’indépendance du Rakhine. Depuis janvier 2019 ce conflit n’a fait que de se durcir, provoquant à plusieurs reprises de nouveaux déplacements de population. Et puis quand bien même ces hostilités cesseraient, l’État du Rakhine reste profondément marqué par une franche hostilité de la population bouddhiste à l’égard les musulmans. Et en ce sens, il serait irresponsable de rapatrier ces personnes sans qu’une véritable politique d’apaisement intercommunautaire soit mise en œuvre, puisque cela consisterait à créer une nouvelle bombe à retardement.

Et pour les Rohingyas toujours présents au Myanmar ?

Ce que l’on ne mentionne que très peu également, c’est qu’il reste toujours des Rohingyas au Myanmar. Soit qui n’ont pas voulu fuir, soit qui n’en ont pas eu l’occasion par peur de risquer leur vie et celles de leur famille. Aujourd’hui on affirme ainsi que 128 000 Rohingya se trouvent toujours dans l’État du Rakhine. Mais étant donné que personne ne parle d’eux, qu’en est-il ? Dans quelles conditions vivent-il ? Est-ce que leurs droits sont respectés ? La réponse est NON.

En effet, plusieurs villages mais aussi beaucoup de camps de déplacés internes demeurent constitués de Rohingya. Mais comme avant la crise de 2017, ceux-ci sont placés sous un véritable régime d’apartheid. Comprenez par là que les Rohingya toujours présents au Myanmar n’ont pas le droit de quitter leur village, qu’il s’agisse de voyager mais également de pêcher ou de cultiver des terres. Ils ne disposent évidemment pas non plus de la nationalité birmane (ni aucune autre), ne sont pas inclus dans les discussions politiques régionale ou nationale. Tous vivent donc reclus dans la misère, en survivant tant bien que mal grâce à l’assistance procurée par les organisations humanitaires présentes sur place.

Mais pires sont les conditions des personnes qui vivent dans des camps, car bien souvent, lorsqu’une communauté fuit son lieu de vie d’origine, choisir un endroit permettant de recommencer une vie normale est un luxe qui n’arrive jamais. Les gens fuient et s’installent là où ils le peuvent, à l’abri (au minimum) des hostilités dont ils font l’objet. Par conséquent, ces camps ne sont pas du tout adaptés à l’installation d’une communauté. Dans beaucoup d’endroits par exemple, des communautés de personnes se sont réinstallées dans des champs initialement utilisés pour la culture du riz. Des rizières donc, qui la moitié de l’année sont inondées.

Il se trouve que je travaille actuellement pour un projet d’assistance et de protection pour plusieurs communautés Rohingyas restées au Myanmar. Et ce que je suis régulièrement amené à voir dépasse de loin ce que j’ai initialement imaginé. Par souci de confidentialité envers l’organisation pour laquelle je travaille et pour des questions de sécurité, je tairai le nom des camps et villages Rohingyas dans lesquels je travaille quotidiennement. Les photos qui suivent ne comportent également aucun visage, par souci d’anonymat.

Les conditions de vie des personnes qui se trouvent dans ces camps sont difficiles à concevoir. Tout est inondé en permanence, l’odeur est insupportable, les maisons sont faites de bric et de broc. Ces gens ne peuvent pas sortir du camp, ni pour aller travailler ni pour aller pêcher ou cultiver. Le peu d’espace dont ils disposent à coté de leur maison pour cultiver quelque chose se réduit tout juste à l’espace qu’occupe le bureau sur lequel est posé votre ordinateur (1 mètre x 1,5 mètres). La terre, très argileuse, est de toute façon trop salée pour y faire réellement pousser quelque chose. Toutes ces personnes sont donc absolument dépendantes de l’assistance humanitaire. Leur dignité est ainsi réduite à zéro.

Et ensuite ?

À la question « que faut-il faire pour résoudre cette crise ? », il n’est pas aisé de trouver une réponse. En premier lieu, il convient d’insister de toutes nos forces pour que les droits de cette minorité soient enfin reconnus. Cela ne peut toutefois pas se faire sans qu’un véritable travail d’apaisement intercommunautaire soit réalisé. Il faudra assurément plusieurs années pour qu’un tel résultat soit atteint, peut-être même une génération entière, mais ce travail doit être entrepris dès maintenant.

Cela fera peut-être aussi grincer des dents, mais j’assume complètement cette opinion qui n’est que la mienne : Peut-être faudrait-il que les organisations humanitaires envisagent sérieusement de progressivement cesser leurs activités dans le Rakhine. En effet, ce n’est pas en mettant en œuvre des activités d’assistance et de protection, que le gouvernement birman a l’obligation de réaliser lui-même à l’égard de toute sa population, que nous parviendrons à résoudre cette crise. Gardons à l’esprit que ce sont en effet les États qui ont la responsabilité première de mettre en œuvre des opérations de secours et d’assistance envers leurs populations vulnérables. Autrement dit, c’est donc au Myanmar d’agir en premier lieu pour apporter protection et assistance à ses ressortissants Rohingyas, ainsi qu’à tous les autres. Entendons-nous bien, l’idée ne serait pas d’abandonner sciemment les communautés Rohingyas, mais de pousser le gouvernement birman à assumer pleinement ses responsabilités. Et alors seulement après avoir atteint cet objectif, les organisations humanitaires viendraient en renfort, pour renforcer le premier niveau d’assistance apporté par le gouvernement birman.

À défaut, si les organisations humanitaires continuent d’apporter une telle assistance sans cligner des yeux, sans remettre en question la pertinence de leurs projets (en termes d’impacts bénéfiques et durables) ni dénoncer avec force les exactions dont elles sont témoins, cela revient tout simplement à jouer le jeu du gouvernement birman, et n’être au final que des « fournisseurs de services ». Alors certes, cela demande du courage, puisque critiquer de la sorte un gouvernement équivaut à s’exposer ouvertement au risque de se faire expulser du pays. Mais que voulons-nous vraiment ? Voulons-nous continuer à apporter assistance sans se remettre en question, quitte à ravaler amèrement nos principes humanitaires qui plaident pour une assistance de qualité, durable et qui ne nuit pas aux populations concernées ? Ou souhaitons nous affirmer haut et fort que le respect de la dignité humaine ne se négocie pas ? Préférons-nous défendre la dignité de toutes ces personnes, quitte à devenir nous-mêmes persona non grata, ou continuerons-nous à jouer les marionnettes muettes d’un gouvernement, au prix de la dignité des plus vulnérables – et de la notre ?

L’histoire du mouvement humanitaire comporte déjà son lot d’organisations ayant refusé de jouer implicitement le jeu des gouvernements. Avec succès. Qu’attendons-nous pour réitérer cela, au nom des droits et du respect de la dignité de la communauté Rohingya ?


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Comments: 2
  • Anne 1 septembre 2019 10 10 30 09309

    Merci pour ce article (et tous les autres d’ailleurs !) Très intéressants et ça nous fait un bon rappel (même pour ceux qui travaillent dans l’humanitaire de près ou de loin !)

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