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Négocier l’inacceptable : Le dilemme humanitaire.

Négocier l’inacceptable : Le dilemme humanitaire.


Le monde compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de crises humanitaires majeures. Et lorsqu’une nouvelle catastrophe éclate, on s’imagine facilement que l’impératif humanitaire exige d’intervenir au plus vite, quoi qu’il en coute. Après tout, le but de l’humanitaire n’est-il pas de sauver des vies ? En vérité, rien n’est si simple.

En effet, avant d’intervenir les organisations humanitaires doivent non seulement analyser les besoins éprouvés par les populations vulnérables, mais aussi dimensionner les ressources humaines, matérielles et financières qui conviennent pour y répondre ainsi qu’anticiper les possibles challenges sécuritaires. Et lorsque tous ces éléments sont réunis, encore faut-il obtenir l’autorisation de l’État concerné pour mettre en œuvre cette assistance humanitaire

Mais là encore, il existe des situations dans lesquelles l’aide humanitaire n’a pas l’impact espéré, soit parce qu’elle est instrumentalisée au profit d’un régime totalitaire, soit parce qu’elle est en réalité susceptible de créer plus de mal que de bien. La problématique est réelle, et oblige les organisations humanitaires à s’adapter à ces contraintes de façon pragmatique. Mais alors dans quelle mesure l’assistance aux populations peut faire preuve de flexibilité sans que cela suppose de trahir les principes fondamentaux de l’action humanitaire ?

LE BUT DE L’ACTION HUMANITAIRE EST DE SAUVER DES VIES… MAIS PAS N’IMPORTE COMMENT.

Comme indiqué en introduction, l’objectif principal de toute assistance humanitaire est bien de sauver des vies, d’alléger les souffrances et d’assister les victimes d’une catastrophe tout en cherchant à rétablir leur dignité. Et pour y parvenir, les organisations humanitaires sont soumises à tout un panel de règles et de principes. Pêle-mêle, on peut notamment citer :

  • Le principe de neutralité : qui suppose de ne pas prendre de position politique, et s’abstenir de prendre part aux controverses d’ordre politique, racial, religieux et idéologique.
  • Le principe d’indépendance : selon lequel les organisations humanitaires doivent agir avec autonomie et sans motivation, influence et instrumentalisation de nature politique, religieuse et économique.
  • Le principe de redevabilité : qui impose de rendre compte avec transparence des activités mises en œuvre auprès des bénéficiaires et d’évaluer les effets de l’aide apportée.
  • Ou encore le principe de ne pas nuire : qui exige que toute action humanitaire ne doit pas devenir pas la source de nouveaux problèmes à l’encontre de la population.

Si de tels principes existent, c’est pour garantir une assistance de qualité envers les bénéficiaires et éviter tout risque de suspicion de collusion et de complicité vis-à-vis des exactions, des crimes et des violations des droits humains dont les organisations humanitaires peuvent parfois être témoins. C’est par conséquent un gage de professionnalisme, de crédibilité et de responsabilité de la communauté humanitaire envers les personnes qu’elle assiste et protège.

Pourtant, malgré l’existence de ces principes, l’histoire de l’humanitaire ne s’est pas faite qu’avec des « success stories ». L’humanitaire compte également des échecs et des remises en question douloureuses pour lesquelles il n’a pas toujours été simple d’y répondre. En effet, dans la réalité des crises humanitaires, où se mêlent tout à la fois des intérêts géopolitiques, économiques, historiques et autres, il n’est pas toujours suffisant de respecter scrupuleusement les principes qui gouvernent l’action humanitaire pour réduire les maux infligés aux populations les plus vulnérables.

Ainsi dans certaines situations, bien que le travail achevé par les organisations humanitaires soit réel, pertinent et positif, l’instrumentalisation de celui-ci par les autorités atteint de telles proportions que l’aide humanitaire finit en réalité par soutenir indirectement les sources de la crise plutôt que d’en réduire les effets. Comment les acteurs humanitaires gèrent-ils donc cette problématique ? Penchons-nous ensemble sur l’Histoire de l’action humanitaire au travers de deux exemples réels, et voyons quelles sont les leçons qui en ont été tirées.

RETOUR EN 1985 : MÉDECINS SANS FRONTIÈRES DÉNONCE L’INTOLÉRABLE EN ÉTHIOPIE.

De 1983 à 1985, alors qu’une sècheresse sévit déjà plusieurs années en Éthiopie, une gigantesque famine frappe les régions du nord du pays. Il est à ce moment-là estimé que plusieurs millions de personnes sont placées en danger de mort immédiat si elles ne reçoivent pas de l’aide au plus vite. La situation est d’autant plus catastrophique que ces régions sont déjà le théâtre d’affrontements armés entre le Front de libération du peuple du Tigray et la junte militaire du Derg qui est au pouvoir et soutenue par les soviétiques.

Bien vite, les alertes relayées par les organisations humanitaires sont progressivement reprises par les médias qui diffusent les images insupportables de cette catastrophe. En réaction, plusieurs collectifs d’artistes se forment afin de mobiliser l’opinion publique et récolter des fonds destinés à soutenir les efforts de lutte contre la famine, tels que Band Aid, Chanteurs Sans Frontières ou encore USA for Africa. À l’époque, un tel élan de solidarité à l’échelle mondiale est aussi extraordinaire que colossal, puisque toutes ces initiatives confondues permettront de récolter plusieurs dizaines de millions de dollars.

Toutefois, sur place, les organisations humanitaires se rendent progressivement compte que quelque chose cloche. En effet, alors que les fonds récoltés pour lutter contre la famine qui frappe l’Éthiopie sont en grande partie reversés au gouvernement éthiopien, les structures humanitaires n’observent pourtant aucune amélioration, aucun impact positif. Et pour cause, le gouvernement éthiopien détournait en réalité la majeure partie de l’aide et des fonds qu’il recevait dans le but de provoquer des déplacements forcés d’une partie de sa population.

L’objectif du gouvernement éthiopien était simple : Vider ces régions du Nord de sa population, afin de réduire le nombre de personnes susceptibles de rejoindre ou d’apporter leur soutien aux groupes armés impliqués dans la guerre civile. Pour ce faire, le gouvernement éthiopien dissimulait ses objectifs militaires en affirmant auprès des populations civiles concernées qu’il leur était nécessaire de se déplacer vers les régions du sud, car elles y étaient plus fertiles, et que l’aide humanitaire y était davantage présente. Et pour renforcer ces propos, les organisations humanitaires faisaient l’objet de plus en plus de restrictions en vue de mettre en œuvre leur programmes, de sorte qu’il n’était plus réellement possible de fournir une assistance adéquate aux plus vulnérables.

Affamées et placées sous le risque d’une mort certaine puisqu’aucune assistance digne de ce nom n’était présente, les populations du Nord de l’Éthiopie n’avait donc pas d’autre choix que de se soumettre à la volonté du gouvernement éthiopien et d’accepter de monter dans les bus et les avions spécialement affrétés à cette fin. Des véhicules appartenant aux organisations humanitaires seront mêmes réquisitionnés de force afin de maximiser ces déplacements vers le sud. Si les habitants étaient plus récalcitrants et refusaient de partir, des rafles étaient organisées, de sorte qu’en réalité personne n’avait d’autre choix que de quitter son village et sa terre, pour rejoindre sous la contrainte une région inconnue. Les conditions de transport étaient abominables, à tel point que beaucoup mourront avant même de rejoindre le sud du pays.

Les organisations humanitaires se trouvent donc à ce moment-là face à un énorme dilemme. Soit rester des témoins silencieux et accepter que l’aide humanitaire fasse l’objet d’un chantage abject pour tenter tant bien que mal d’apporter assistance là où cela est autorisé, soit refuser de compromettre leur responsabilité morale et leur déontologie en dénonçant publiquement l’instrumentalisation de l’aide humanitaire. Beaucoup préfèreront de se taire. Seule la branche française de Médecins Sans Frontières décidera de prendre la parole en se lançant de toutes ses forces dans une campagne de communication pour dénoncer l’intolérable :

« La politique gouvernementale de resettlement (réinstallation) a provoqué des morts par dizaines de milliers. »

Libération, 5 novembre 1985

« Ces départs sont forcés, sous la menace d’armes et les conditions de vie dans les centres de transit sont épouvantables. »

Le Monde, 8 novembre 1985

« Le transport dure trois à cinq jours […] Ils reçoivent, chaque jour, une poignée de maïs, mais il arrive qu’on ne leur donne rien pendant la moitié du voyage… Ils ont droit à une ou deux tasses d’eau par jour !… Avec ce régime, les plus faibles meurent automatiquement. »

Paris-Match, 14 novembre 1985

« Une fantastique opération de malversation est en cours en Éthiopie : on est en train de retourner un extraordinaire mouvement de solidarité contre les gens censés être aidés… L’aide ne sert pas à les sauver, mais à opprimer »

Libération, 4 décembre 1985

Excédé par ces accusations, le gouvernement Éthiopien prend le 2 décembre 1985 une décision que beaucoup redoutaient. En ayant refusé de cautionner l’intolérable, Médecins Sans Frontières France et ses équipes se retrouvent alors expulsés du pays…

Aujourd’hui, 35 ans plus tard, nous serions tentés de penser que la position de MSF vis-à-vis de cette crise a fait jurisprudence. Que face à l’inacceptable ou lorsque l’aide est instrumentalisée, l’éthique et la déontologie humanitaires exige de dénoncer les abus et les violations des droits humains dont sont témoins les organisations humanitaires pour ne pas trahir les personnes censées être aidées et protégées. Autrement dit, que la neutralité attendue des organisations humanitaires ne doit pas se transformer en complicité passive, au risque de compromettre les valeurs et le but de l’assistance qu’elles délivrent.

En réalité, ce n’est pas le cas. Il existe en effet encore aujourd’hui des contextes similaires à l’Éthiopie de 1985, et pour lesquels la communauté humanitaire demeure agitée par des controverses interminables. Tandis que les uns invoquent l’impératif humanitaire et invitent à faire preuve de pragmatisme avant tout, d’autres insistent sur la primauté des principes fondamentaux qui gouvernent l’action humanitaire et l’impossibilité de rogner ces règles sans trahir les bénéficiaires. C’est cette controverse qui agite actuellement la communauté humanitaire présente au Myanmar.

DE NOS JOURS : LA DIPLOMATIE HUMANITAIRE SILENCIEUSE AU MYANMAR.

Commençons d’abord par nous rappeler de la catastrophe humanitaire qui agite l’État du Rakhine, dans le sud du Myanmar. En août 2017, une violente répression menée par l’armée birmane pousse près de 750 000 Rohingyas à se réfugier, au péril de leur vie, au Bangladesh dans la région de Cox’s Bazar. Beaucoup d’autres toutefois ne partirons pas, puisqu’on estime que près de 600 000 Rohingyas vivent toujours au Myanmar. Enfermés dans leur propre pays par un gouvernement qui ne les reconnait pas mais qui les soumet à un véritable régime d’apartheid, les Rohingyas du Myanmar survivent dans des conditions proches de l’innommable.

Ils n’ont en effet :

  • Pas le droit de quitter le camp dans lequel ils se trouvent. Un poste de police se trouve d’ailleurs à proximité de chaque camp afin de surveiller les mouvements de chaque Rohingya.
  • Ils ne peuvent pêcher ou cultiver qu’en restant aux abords du camps dans lequel ils se trouvent, à condition de payer un bakchich à la police.
  • Les Rohingyas ne disposent pas de la nationalité birmane (ni aucune autre). Ils n’ont pas conséquent aucune citoyenneté. Ils ne peuvent donc ni voter ni être inclus dans les discussions politiques régionales ou nationales.

En somme, les Rohingyas du Myanmar vivent donc reclus dans la misère des camps semblables à des prisons à ciel ouvert, en survivant tant bien que mal grâce à l’assistance procurée par les organisations humanitaires présentes sur place. Cette assistance est toutefois extrêmement limitée, puisque le gouvernement birman n’autorise les organisations humanitaires à ne porter assistance que dans les camps situés aux alentours de la ville de Sittwe. Les autres camps et villages situés dans le reste de l’État du Rakhine, qui demeure pourtant l’un des plus pauvres du Myanmar, restent donc privés de toute assistance. Pour justifier ce refus, le gouvernement birman affirme que les conditions sécuritaires ne sont pas réunies pour que les organisations humanitaires, pourtant spécialistes des interventions en conflits armés, puissent intervenir. En réalité, le gouvernement birman et son armée ne souhaitent tout simplement pas que quiconque soit témoin de la répression violente qui continue d’avoir lieu, tant à l’encontre des Rohingyas que des populations bouddhistes.

Face à cette situation et en se basant sur l’expérience de MSF en Éthiopie, qu’en est-il de la position des organisations humanitaires présentes au Myanmar ? Et bien contrairement à ce que nous avons précédemment analysé, aucune d’entre elles ne semble réellement décidée à dénoncer les exactions commises par le gouvernement birman et son armée. C’est même pire, puisque conformément aux exigences du gouvernement birman, les organisations humanitaires ont également accepté de ne pas mentionner le mot « Rohingyas » lorsque celles-ci s’entretiennent avec les autorités birmanes. Les autorités du Myanmar considèrent en effet que mentionner le mot « Rohingya » est de nature à soutenir l’idée que ces personnes sont légitimes à se voir accorder la nationalité birmane. À la place, la communauté humanitaire s’emploie donc à n’utiliser que des termes tels que « communauté musulmane », ou de « déplacés internes », ce qui participe implicitement à la stratégie de nettoyage ethnique et identitaire voulue par les autorités birmanes.

Mais comment expliquer une telle différence par rapport à la position adoptée par MSF en Éthiopie, lors de la famine de 1985 ? Sur place, face aux pressions constantes et les tentatives d’intimidation continuelles de la part des autorités birmanes qui menacent régulièrement les organisations humanitaires de révoquer leurs autorisations de mise en œuvre de leurs programmes, la communauté humanitaire estime ne pas avoir d’autre choix que de se résoudre à un compromis consistant à mener une diplomatie du silence. En clair, cela consiste à s’abstenir de toute dénonciation publique pour conserver le droit d’intervenir là où elles sont autorisées à le faire, même si elles sont les témoins directs des abus et des crimes commis par l’armée birmane ou de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les Rohingyas enfermés dans les camps.

Un tel compromis est-il acceptable ? Pour les défenseurs de cette position, il s’agit du prix à payer pour continuer à venir en aide aux populations. Que l’impératif humanitaire exige d’adopter une démarche plus pragmatique, qui ne se cantonne pas à l’application stricte des principes humanitaires. Que prendre le risque de dénoncer les exactions de l’armée birmane et soutenues par son gouvernement serait une démarche irresponsable, puisqu’elle conduirait inévitablement à l’expulsion des organisations humanitaires et donc à l’arrêt de l’assistance actuellement portée aux plus vulnérables. Et qu’en ce sens, c’est le principe de neutralité qui prime sur tous les autres.

De l’autre côté, les promoteurs du strict respect des principes humanitaires voient dans un tel compromis une remise en question totale du principe d’indépendance. Que se résoudre à accepter de rester des témoins silencieux, des sous-traitants techniques à la solde d’un gouvernement est de nature à donner une valeur d’assentiment aux restrictions imposées à la communauté Rohingya. Il est également affirmé que les concessions faites par la communauté humanitaire depuis près d’une dizaine d’années n’ont nullement contribué à observer la moindre amélioration de la situation des Rohingyas ou de toute autre minorité persécutée au Myanmar ni-même permis de garantir un meilleur accès humanitaire aux organisations sur place. Enfin et surtout, les défenseurs d’une application intransigeante des principes humanitaires rappellent que se limiter à fournir une assistance sous contrôle, qui s’autocensure et qui n’a aucun impact durable constitue tout simplement un manquement au devoir de protection auquel les organisations humanitaires sont tenues vis-à-vis des populations les plus vulnérables, puisque délivrer une assistance qui se borne à assurer juste de quoi survivre est en réalité de nature à entretenir un système qui veut plus de mal que de bien aux communautés persécutées.

Alors en conclusion, que faut-il retenir de ces questionnements qui agitent toujours les réflexions humanitaires ? Et bien que face à un tel dilemme, il n’y a en réalité pas de bonne ou de mauvaise réponse. En effet, la réalité des contextes d’intervention exige des organisations humanitaires de réaliser un délicat exercice d’équilibriste et faire preuve de suffisamment de flexibilité pour remplir leurs devoirs et dans tous les cas de faire des choix dans l’intérêt des bénéficiaires.

L’objectif de cette analyse est donc avant tout de démontrer que l’assistance humanitaire telle que l’on se l’imagine habituellement ne constitue pas toujours la réponse ultime à une crise. Il ne suffit pas que l’assistance humanitaire existe en tant que telle pour guérir comme par magie les maux des plus faibles et mettre fin aux discordes entre les peuples. Au contraire, l’aide humanitaire peut malheureusement être instrumentalisée, conditionnée, ou contribuer malgré elle à perpétuer un système d’abus et de violation des droits humains.C’est aussi l’occasion de rappeler que chaque intervention humanitaire s’inscrit dans un contexte unique qui fluctue d’une crise à une autre, et que pour chacune d’entre elle il n’existe pas de mode d’emploi universel. À ce titre, c’est aussi la raison pour laquelle il demeure essentiel de rester attaché au plus près des principes qui gouvernent l’action humanitaire, et qui ont eux-mêmes été créés afin que les erreurs commises par le passé ne soient pas reproduites. Pragmatisme et flexibilité sont essentiels à la réponse humanitaire, mais les principes fondamentaux doivent être la boussole dont la communauté humanitaire ne doit jamais se détourner.


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