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Phénomène Jérôme Jarre et Love Army : L’humanitaire à tort et à travers.

Phénomène Jérôme Jarre et Love Army : L’humanitaire à tort et à travers.

EDIT JUIN 2022 : Cinq années (!) après le début de l’opération Love Army en Somalie et au Bangladesh, Jérome Jarre a enfin publié le compte-rendu relatif à ces activités. Carnet de Bord – HUMANITAIRE salue cet effort attendu de longue date, tout en notant que ce rapport de 199 pages confirme les confusions et inexactitudes qui avaient été relevées lors de la rédaction de cet article en 2017. Contrairement à ce qui avait été annoncé, les dons récoltés n’ont pas été redistribués à 100% aux personnes aidées (puisque les frais bancaires, de la cagnotte et autres dépenses logistiques rendaient cela évidemment impossible). Aussi, la Love Army n’a pas agi de manière autonome ou « décentralisée » mais davantage comme une fondation allouant des fonds à des partenaires de mise en œuvre des projets. Ce rapport est disponible ici.


Depuis le 15 mars 2017, l’influenceur/créateur web Jérôme Jarre secoue la sphère d’internet afin de sensibiliser son public – mais pas seulement – à la réalité de certaines crises humanitaires qui secouent actuellement le monde. D’abord au profit de la crise alimentaire en Somalie puis du terrible séisme qui a secoué le Mexique, le rouleau médiatique de Jérôme Jarre s’est depuis quelques jours tourné sur la cause des Rohingyas au Bangladesh. S’il est évidemment remarquable de voir une personne disposant d’une telle audience – plusieurs millions d’abonnés sur les différents réseaux sociaux – récolter autant d’attention mais également de fonds, il est pourtant difficile, lorsque l’on est soi-même un professionnel humanitaire, de refreiner un certain malaise.

En effet, le procédé de communication utilisé par Jérôme Jarre et sa Love Army est tel qu’il véhicule une image erronée de l’action humanitaire. Non seulement cela nuit à l’action des organisations humanitaires déjà présentes en occultant le travail qu’elles mettent d’ores et déjà en œuvre, mais cela transmet également un message erroné sur la dimension professionnelle du monde humanitaire. Par ailleurs, le mode de fonctionnement et de financement des outils sur lesquels les influenceurs web s’appuient fait également submerger des craintes quant à la possible utilisation de l’audience engrangée à des fins plus lucratives dans le futur. Explications.

NON, N’IMPORTE QUI NE PEUT PAS FAIRE DE L’HUMANITAIRE.

Pour commencer, soyons tout de suite clairs. Non, n’importe qui ne peut pas faire de l’humanitaire. Pourtant, l’action de la Love Army et sa méthode de communication laissent supposer que n’importe qui, pour peu que cette personne soit dotée de bonne volonté, est apte à œuvrer dans l’humanitaire. Au risque d’en décevoir beaucoup, le domaine humanitaire, comme n’importe quel autre corps de métier, exige l’implication de professionnels. Rassembler plusieurs millions d’euros/dollars en quelques jours est certes aussi impressionnant que respectable – tant au niveau de l’audience de l’influenceur que de la réceptivité de son public – mais cela occulte totalement la réalité d’une intervention humanitaire.

En effet, pour mettre en œuvre une réponse d’urgence, il ne s’agit pas seulement de rassembler des fonds. Il est nécessaire d’évaluer, de connaître les besoins, d’identifier les personnes nécessitant une assistance et les caractéristiques de leur foyer. Parallèlement, il est primordial de connaître les risques, et d’établir à ce titre un examen de la situation sécuritaire. Il est obligatoire, si ce n’est primordial, d’entrer en contact avec les autorités nationales, locales et autres leaders communautaires afin d’expliquer l’objectif de sa présence, mais aussi et surtout d’obtenir l’autorisation de mettre en œuvre l’intervention souhaitée – on n’entre pas dans un pays comme dans un moulin, même pour une action humanitaire.

Il faut recruter les équipes sur place qui seront au cœur de la mise en œuvre de l’intervention. L’utilisation des fonds doit être suivie chaque jour, la logistique être opérationnelle sept jours sur sept, des rapports doivent rédigés à l’attention des interlocuteurs impliqués ou ne serait-ce que concernés de près ou de loin à cette action. Il faut gérer, suivre, évaluer cette mise en œuvre afin de s’assurer que les standards humanitaires – SPHERE – sont respectés. Avant, pendant, après. Évaluer l’impact de l’intervention, qu’il soit positif, mais également négatif si cela a lieu d’être et le cas échéant, analyser ce qui a pu compromettre l’un des principes humanitaires clés – le do no harm. Envisager une stratégie de sortie mais aussi de passation avec des acteurs humanitaires locaux – car les acteurs humanitaires internationaux n’ont en soi pas vocation à rester ad vitam aeternam sur ces lieux d’opération ni de les quitter du jour au lendemain sans plan de sortie – puisque la priorité doit être donnée, autant que faire se peut, à l’échelle locale et nationale.

Pour toutes ces raisons non-exhaustives et qui pourtant du point de vue d’un professionnel ne sont que la pointe visible de l’iceberg, le domaine humanitaire nécessite l’implication de gens formés. Résumer une intervention humanitaire à une histoire d’argent et de bonne volonté contribue à inciter quiconque à créer son Arche de Zoé, parce que ce qui compte avant tout « c’est d’avoir l’intention de bien faire ».


L’affaire de l’Arche de Zoé de 2007 concerne l’escroquerie visant à exfiltrer vers la France et de manière illégale 103 enfants présentés comme des orphelins en provenance du Darfour. En vérité, les enfants en question étaient pour la plupart tchadiens et n’étaient pas orphelins. Arrêtés par les autorités tchadiennes, les responsables de l’association ont été condamnés en appel à deux ans de prison avec sursis par la justice française. Cette affaire demeure encore aujourd’hui un souvenir douloureux dans le milieu humanitaire en raison de la suspicion du public qui persiste toujours à l’encontre des ONG et du scandale que cela avait suscité au niveau diplomatique.


L’HUMANITAIRE NE FAIT PAS DE PLACE AU NARCISSISME.

L’autre problématique que soulèvent ces actions et le message qu’elles véhiculent repose sur le fait qu’elles n’informent pas correctement la génération des 15-25 ans, pour qui la clé du succès repose sur la capacité à devenir aussi populaire que possible. Cette génération de « wannabe famous » rêve de reproduire le schéma de ceux qui ont réussi au travers de Snapchat, Youtube ou Instagram. À cette fin, toutes les mises en scène possibles sont autorisées dans l’objectif de déclencher un « good buzz ». L’action de la Love Army et de Jérôme Jarre aux avant-postes présente ainsi le risque de rencontrer de manière croissante telle ou telle action de solidarité dans l’optique d’élargir son audience.

Autrement dit, il est malheureusement possible de craindre de voir durant ces prochains mois de plus en plus de « wannabe famous » se mettre en scène dans des contextes de volontourisme, afin de surfer sur la vague médiatique de la Love Army. Ce procédé, qui tient d’avantage du tourisme que du volontariat humanitaire repose sur des structures pseudo-humanitaires ou de solidarité basées dans des pays en développement. Leur fonds de commerce est de recruter pour des périodes de sept, quinze, trente jours, des jeunes – généralement occidentaux – sans expérience mais armés de leur bonne volonté et de leur portefeuille – car il est nécessaire pour eux de s’acquiter de l’intégralité des frais, qu’il s’agisse du billet d’avion, du droit de participation ou encore des frais sur place. Le volontouriste est alors invité à donner des cours basiques de français ou de participer dans la limite de ses capacités à la construction d’une habitation. Dans tous les cas, « recruter » pour une très brève période de temps des personnes sans qualification pour ce qu’il leur est demandé de faire n’a évidemment aucun impact concret et durable envers les communautés concernées, ce qui peut même se révéler négatif. À l’inverse, le volontouriste peut s’enorgueillir d’avoir participé de son point de vue à une action charitable, d’avoir fait de « l’humanitaire facile » et utiliser cela afin de s’auto-promouvoir à l’aide de photos et vidéos largement diffusés sur les réseaux sociaux.

La médiatisation et l’engouement tels qu’ils existent actuellement pour la Love Army, et la communication qui en est faite notamment avec ses nombreux selfies donne ainsi toutes les clés utiles aux « wannabe famous » pour faire de l’humanitaire un simple outil de communication et de ratissage d’audience. Le monde humanitaire ne laisse pourtant aucune place au narcissisme – au contraire, il est davantage l’expression de l’altruisme – et dès lors pour ne citer que ça, il devient très vite embarrassant de voir se multiplier les selfies de tels et tels influenceurs toujours centrés au milieu de la photo et entourés d’enfants.


Cette réflexion soulève d’ailleurs une autre question, sur le fait de publier sur les réseaux sociaux des photos d’enfants. Inversons la situation pour mieux y réfléchir : accepterions-nous qu’un inconnu de Somalie ou qu’un réfugié Rohingya se prennent en photo en compagnie de notre fils, de notre petite sœur ou de nos neveux et nièces ? Que cette photo soit publiée sur un réseau social et dirigée à l’attention d’une communauté que nous ne connaissons pas, que nous ne comprenons pas ? L’altruisme, c’est aussi savoir se mettre à la place de l’autre dans chacune des actions que l’on entreprend.


INFLUENCEURS WEB ET HUMANITAIRE : DE POSSIBLES LIAISONS DANGEREUSES.

Au travers des actions « Love Army for Somalia » et « Love Army for Rohingya », il est expliqué que les influenceurs concernés utilisent leur image et leur capacité de diffusion à titre totalement altruiste afin de sensibiliser le public et les représentants politiques sur ces deux crises humanitaires. Cela est totalement remarquable et le fait de détenir une base d’abonnés qui se comptait déjà à plusieurs millions sur tous les réseaux sociaux cumulés est un avantage indéniable. Dans le même temps, au travers de la médiatisation qu’elles suscitent, ces actions contribuent indubitablement à ce que soient engrangés de nouveaux abonnés et permettent ainsi d’élargir davantage encore l’audience dont ces influenceurs disposent, afin, à court terme, de poursuivre la sensibilisation entamée sur les crises en question.

À plus long terme toutefois, le risque est que cette masse d’abonnés acquise soit utilisée à d’autres fins. Ces personnes qui se sont lancées sur Vine, Snapchat, Youtube et autres ne continuent pas de créer du contenu uniquement à des fins de divertissement. C’est un secret de Polichinelle bien gardé et qui pour autant ne représente aucune honte, mais le contenu qu’ils partagent sur ces outils sociaux permet bien de dégager des revenus, variables selon le nombre de vues réalisées dans le cas de Youtube par exemple. Cela était le cas avant qu’ils en viennent à parler de la crise en Somalie, et ce sera le cas encore après que la médiatisation de la crise qui touche les Rohingya soit achevée.


Précision supplémentaire : J’insiste bien sur le fait que je n’ai aucune rancœur ni aigreur quant au fait de gagner sa vie via un média social ou autre. Je fais moi-même partie de cette génération qui a grandi en parallèle avec la démocratisation d’internet et de tous les outils qui lui sont liés. Je suis également abonné à des chaines Youtube et j’enrage lorsque je vois un présentateur de télévision, influenceur à sa manière, ridiculiser un youtubeur français sous prétexte qu’il ne comprend pas que le monde avance plus vite que lui.


Le problème est que par nature, de par leur métier, ces personnes puissent de nouveau utiliser leur audience à des fins publicitaires, à moyen et plus long termes. Une audience qui aura notamment crûe au travers de la médiatisation de leur investissement humanitaire. À l’inverse, à titre de comparaison, la communication d’une ONG n’est et ne sera jamais détournée dans une optique lucrative à court, moyen ou long terme. Leur mandat et l’éthique auxquels elles se rattachent le leur interdit. Autrement dit, à titre d’exemple, elles ne feront jamais un placement de produit. Une nouvelle fois, il n’est pas question de compétition, ni en tant que professionnel humanitaire de prêcher bêtement pour ma paroisse. L’idée est bien de rappeler que le monde humanitaire répond à des principes clés qui dans le cas de l’exemple cité plus haut, sont mis à rude épreuve.

DES SOUS-ENTENDUS QUI PASSENT [TRÈS] MAL.

L’une des plus grosses erreurs dans la communication de la Love Army est d’avoir affirmé qu’elle s’inscrivait en substitution totale des journalistes et médias de presse. En effet, les messages partagés sur les réseaux sociaux affirment clairement que les médias occultent les crises qu’ils tentent de mettre en lumière.

S’il est bien possible de reprocher aux médias leur rôle dans la variabilité de la médiatisation des crises humanitaires (j’avais déjà eu l’occasion de l’aborder quelques années auparavant, « Fin de la famine » en Somalie: Quelles réalités derrière l’annonce ?), il est malhonnête de prétendre que les médias sont entièrement responsables de cet état de fait. En effet, ils doivent aussi et surtout répondre aux intérêts de leurs lecteurs, et à ce titre, il est de notoriété publique que la survenance d’une crise humanitaire et les drames voire les atrocités qu’elles contiennent n’intéressent que très peu le public, ou alors encore faut-il qu’elles ne soient pas ressassées de façon trop régulière. De plus, cela fait également partie du quotidien des travailleurs humanitaires puisque, tous autant que nous sommes, observons tous les jours qu’il est difficile de parler avec nos proches de ce que nous faisons en détail et de manière approfondie. C’est toujours compliqué, parfois décevant, mais nous apprenons à faire avec et continuons malgré tout d’agir sans relâche sur le terrain. Il en va de même avec les médias, c’est toujours compliqué, c’est très souvent décevant, mais eux-aussi doivent faire face à un public versatile et trop souvent superficiel.

Il est également regrettable d’observer que les blâmes adressés aux organismes de presse soient réalisés dans le seul but tirer la couverture vers soi. En effet, les ONG ont depuis longtemps compris le problème lié à la faible médiatisation des crises humanitaires au travers de la presse. C’est la raison pour laquelle chacune d’entre elles dispose d’un pôle communication afin de se passer du relai journalistique et d’informer toute personne intéressée sur les crises dans lesquelles elles mettent en œuvre des projets d’assistance. Les organisations humanitaires sont à ce titre présentes sur la plupart des réseaux sociaux, publient très régulièrement du contenu d’information et il aurait été tout aussi bénéfique envers ces crises d’en faire la mention.

Par ailleurs, il est dommage que cette médiatisation se fasse au bénéfice de la Love Army seulement, mais aussi et surtout, que celle-ci préfère très largement faire cavalier seul quitte à sous-entendre en substance qu’ils sont les seuls à actuellement réaliser quelque chose de concret. Pourtant, il convient de rappeler que non seulement de très nombreuses ONG internationales et nationales sont présentes actuellement au Bangladesh et plus exactement à Cox’s Bazar (consulter à ce propos le dernier 4W – Who does What, Where, When – qui établit la liste de tous les acteurs humanitaires actuellement présents ), mais aussi et surtout qu’elles sont toutes en coordination les unes avec les autres, afin d’apporter une réponse adéquate et coordonnée aux besoins urgents des personnes réfugiées dans cette zone.


Ce qu’il faut aussi savoir:

Depuis 2005 est mise en œuvre « l’approche cluster » dans tous les contextes humanitaires. Créée dans le sillage de la réforme du système des Nations Unies dans la sphère humanitaire, cette approche établit une meilleure coordination entre les différents acteurs humanitaires sur la base d’une classification sectorielle (sécurité alimentaire, eau et assainissement, habitat, santé…). Organisés au niveau national et régional, ces clusters sont devenus un cadre privilégié pour faciliter la coordination des organisations, éviter tout « overlapping » – c’est-à-dire que deux organisations différentes ne mettent pas en œuvre le même type de projet pour le même groupe de personnes –, partager des informations et dans tous les cas, apporter une réponse rapide et efficace aux besoins identifiés.


Le dernier tweet publié par Médecins du Monde confirme tristement l’absence de communication et de coordination de la Love Army avec les organisations humanitaires déjà présentes sur place.

Il a également été particulièrement agaçant, dans le cadre de l’action en Somalie, de prétendre que la situation sécuritaire dans le pays est bien meilleure que ce que l’on peut lire partout. Au mieux il s’agit d’une maladresse, au pire d’un mensonge éhonté.

Affirmer que dans un tel pays en conflit depuis une vingtaine d’années la situation sécuritaire est optimale et sous-entendre que seule la Love Army a osé mettre en œuvre une telle intervention, ce n’est ni plus ni moins qu’adresser un bras d’honneur à tous les travailleurs humanitaires – dont une immense majorité sont des travailleurs nationaux – qui ont perdu la vie pour pouvoir apporter assistance aux plus vulnérables. C’est cracher au visage de ceux qui chaque jour – en Somalie notamment – prennent des risques dans l’exercice de leur métier mais n’en ressortent pas toujours indemne.

C’est d’autant plus gênant de voir ce genre de sous-entendu lorsque l’on dispose soi-même d’une protection présidentielle. Sur le volet indépendance et neutralité de l’action humanitaire, on repassera.


Non, une intervention humanitaire ne peut et ne pourra jamais se résumer à un « very good trip » entre amis au pays des plus vulnérables. L’humanitaire reste un métier dangereux, qui fait notamment partie de ceux comportant le plus de décès chaque année, au même titre que les journalistes. Considérer qu’il est facile d’entrer dans un pays pour réaliser une intervention humanitaire, c’est oublier qu’il s’agit d’un milieu exigeant et qui nécessite autant que tout autre, l’implication de professionnels.

DES CONFUSIONS QUI MÉRITERONT DE VÉRITABLES ÉCLAIRCISSEMENTS.

Pour terminer, il convient d’analyser ce qui à plusieurs reprises a été rappelé par la Love Army dans le cadre de son action, à savoir que 100% des fonds obtenus au travers des collectes seront reversés aux personnes nécessitant une assistance. Cela soulève une nouvelle fois plusieurs questions, d’abord sur la communication confuse à ce sujet, ensuite sur la réalité pratique de cette affirmation.

Jérôme Jarre l’avait indiqué en défense d’une critique adressée par divers médias journalistiques, que l’intégralité des fonds étaient reversés aux bénéficiaires, pour la simple et bonne raison qu’il faisait cela à titre bénévole, que personne n’était employé et qu’aucun intermédiaire ne percevait quoi que ce soit.

Il a pourtant été indiqué dans ce thread de plusieurs dizaines de tweets, que l’action de la Love Army en Somalie était réalisée en coopération avec l’organisation American Refugee Committee (ARC), ce qui contredit consécutivement l’affirmation selon laquelle son intervention était totalement autonome.

La présence d’une organisation intermédiaire sera d’ailleurs confirmée au sein même de ce thread quelque peu confus.

Il n’est évidemment pas question ici de critiquer la confusion voire les contradictions de la communication comme ainsi soulignée. Non, le problème est de prétendre faire quelque chose d’absolument irréalisable en soi. Soyons clairs, il est impossible de demander aux chauffeurs des water-trucks, aux personnes déchargeant les camions remplis de vivres, aux officiers de distributions alimentaires – pour ne citer qu’eux – de travailler bénévolement. Si cela est tout à fait louable de la part de Jérôme Jarre et de ses comparses d’exiger qu’aucun d’entre eux ne perçoivent le moindre centime des fonds récoltés, il est en revanche impossible pour ne pas dire indigne de demander aux travailleurs cités précédemment de contribuer bénévolement à cette action. Apporter une réponse d’urgence adaptée, cela passe aussi par une contribution à l’économie par l’emploi de travailleurs locaux.

C’est la précision je souhaite apporter ici, car il s’agit d’être honnête et transparent sur le monde humanitaire. La réalité de ce monde comporte nécessairement des frais qui ne seront pas exclusivement attribués au financement de denrées alimentaires, à la distribution d’eau potable ou de produits d’hygiène. Il existe par exemple constamment des frais liés au transport du matériel distribué, mais aussi au stockage. En effet, on ne distribue pas plusieurs dizaines de tonnes de nourriture sans-cesse en « one-shot one day » (achat sur le marché → transport → distribution en un seul jour) et cela n’a rien de honteux.

Cela demande une logistique matérielle d’une part, mais également humaine. Alors que les interventions humanitaires s’étalent sur plusieurs mois voire plusieurs années, comment exiger que toute personne impliquée dans sa mise en œuvre reste bénévole ? Dans certains lieux d’intervention, les ONGs sont parfois même les principaux recruteurs, et permettent de redynamiser ainsi l’économie locale et nationale. À ce titre, les budgets de chaque mission le démontrent, le plus gros poste de dépense est rattaché au paiement des salaires, et ceux des travailleurs nationaux constituent une part très largement supérieure à ceux des employés internationaux. Il serait donc erroné de croire que les salaires reversés aux travailleurs internationaux plombent le budget des interventions humanitaires.

La transparence promise par Jérôme Jarre à la fin de ces interventions permettra donc de mieux comprendre, et si besoin, d’apporter des précisions sur la réalité pratique de la mise en œuvre économique des interventions de la Love Army. Je le répète, il n’est pas question de mettre en doute l’honnêteté et la sincérité des personnes impliquées dans ce mouvement mais d’exiger au contraire qu’elles le soient de bout en bout envers leur public…et les bénéficiaires de leur action.

Il ne reste donc qu’à espérer que les doutes ici soulevés puissent rapidement être balayés et que les erreurs déjà relevées soient corrigées comme il se doit. Il en va de l’intérêt d’un milieu déjà trop régulièrement mis en doute par le public – bien souvent à tort – au détriment des populations les plus vulnérables à une période où l’assistance humanitaire demeure indispensable.


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Comments: 4
  • AlKanz 4 décembre 2017 14 02 02 120212

    Bonjour
    Votre article et votre regard – intelligemment – critique sont intéressants.
    Dans quelle mesure selon vous, un phénomène comme la Love Army peut s’inscrire dans le paysage humanitaire. Elle est là, elle est puissante, notamment s’agissant des opprimés rohingya elle a réussi à informer, aussi peut soit-il, une cible que les médias n’ont pas réussi à toucher, malgré une large couverture des atrocités commises contre cette ethnie minoritaire en Birmanie.

    Je suis en effet les événements en Birmanie depuis 2012, soit pas très longtemps eu égard aux exactions et brimades subies par les Rohingya depuis plusieurs décennies. Malgré tout, je peux vous assurer que ces trois derniers mois l’ensemble des médias internationaux, médias français compris, ont couvert le génocide comme il est rarement le cas en telles circonstances.

    Forte couverture médiatique qui n’a pourtant pas réussi à toucher une forte proportion de la population française et même internationale : nombre d’internautes sur Twitter ont dit ne rien savoir ni des Rohingya ni de ce qui se déroule en Birmanie depuis plusieurs mois.

    Question : jugeriez-vous moins sévèrement la #LoveArmyForRohingya s’il n’y avait en sus de l’appel à diffuser les vidéos réalisées sur place par des influenceurs un appel à collecter de l’argent ?

    NB : la critique qui consiste à reprocher à un influenceur toute action humanitaire sous prétexte que peut-être par la suite l’audience éventuellement acquise lors de cette action pourrait lui bénéficier, notamment financièrement, me parait hors de propos et tirée par les cheveux. Elle me parait même très problématique : elle condamnerait alors toute personnalité publique à ne plus agir au nom d’une cause humanitaire sous prétexte que le capital sympathie subséquent à un tel engagement pourrait lui être par la suite profitable.

  • Ykoops 7 décembre 2017 22 10 16 121612

    Merci pour cet article qui synthétise bien les problématiques soulevées tout en restant bienveillant.
    Pour compléter la partie relative à l’utilisation des fonds, je suis etonnée que si peu de monde remette en question le « 100% reversé à la cause » alors que les frais prelevés par la plateforme de dons sont clairement indiqués sur le site et excessivement élevés. A ce jour, plus de 175 000 euros issus des dons sont empochés par gofundme.
    En comparaison, une ONG qui collecte le meme montant annuellement (~2 millions) et n’investira pas plus de 0,5% de cette somme pour sa plateforme de dons. La repartition « mission sociale/recherche de fonds/frais de fonctionnement » est d’ailleurs extremement suivie par les audits réguliers et meme par les donateurs.
    Je ne trouve pas très honnête de la part de la love army de faire passer l’idée que les ong profitent de la situation alors qu’elles sont (pour l’instant) bien plus transparente sur leur budget qu’elle.
    J’ai fait un petit don, j’attends donc le rapport moral et le rapport financier de la love army 🙂 pour l’instant, je ne sais toujours pas ce qu’ils comptent en faire….

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